Héres s’avançait d’un pas assuré et offrit un petit sourire à la secrétaire de son père. Il l’aimait bien et auprès d’elle, il s’était toujours senti en sécurité, bien qu’il ne se soit jamais senti menacé dans les bureaux de son père.

Son paternel l’appelait à lui et c’était surement pour lui annoncer son rôle dans la délégation qui partirait pour Washington. Les enjeux politiques étaient grands, les Etats-Unis tremblaient et Héres était on ne peut plus fier de faire partie des rares personnes pouvant contrôler le sort du peuple par quelques décisions. Ces conférences allaient écrire l'Histoire.

Il frappa trois petits coups et pénétra dans la pièce, comme l’avait exigé son père depuis qu’il avait décrété son fils sourd suite à ses quatre « Entrez » lorsqu’il avait quinze ans. Était-ce sa faute s’il avait eu un gros rhume ce jour là ? L’habitude avait été pourtant bien prise et l’héritier entrait sans ressentir le besoin d’en recevoir l’autorisation. Néanmoins, il restait toujours un peu en retrait jusqu’à ce que son père le fasse venir plus près.

Il adorait ces quelques secondes, parfois ca pouvait même durer quelques minutes, quand il attendait d’être appeler. Il pouvait observer son père travailler à sa guise. La tête dans un dossier ou farfouillant dans une paperasse énorme, le visage de Saevus Yaxley était toujours tiré, concentré. Il aimait clairement ce qu’il faisait et ca se voyait. Sinon il ne se crèverait pas tant à la tâche comme cela. Et force est de constater que son attitude fascinait son fils qui l’admirait de plus en plus suite à ces mini séances d’observation.

Le jeune homme prit alors sa position d’attente : en parfait gentleman qu’il était, il la maitrisait comme personne. Il se tenait bien droit, un bras dans le dos, le deuxième légèrement replié sur le devant. Prêt à servir, comme toujours. Prêt à servir son père surtout, qui faisait de lui son digne successeur. Il n’attendit pas vraiment longtemps et son père lui fit signe d’avancer.

Héres prit place sur le confortable fauteuil face au bureau. Combien de fois le cuir avait-il accueillit son fessier ? Voilà ce que se demandait l’héritier en s’asseyant.  A chaque fois dans cette situation, il avait une pensée absurde qu’il ne contrôlait pas. C’était surement l’enfant qui n’avait pas eut le temps de complètement disparaitre en lui et qui réapparaissait toujours à l’endroit où il avait jadis été réduit au silence.

Le jeune homme fixa les yeux de son père, sans ciller, cachant plutôt bien son excitation. Un futur dirigeant ne peut pas montrer ses sentiments. Ce fut difficile de cacher sa satisfaction lorsque son père afficha  clairement son contentement envers son rejeton. Héres travaillait avec acharnement et méritait amplement ses réussites. Il était le premier des étudiants élites mais  comment en aurait-il pu être autrement ? Il fut un peu déçu de voir le poste d’étudiant-moniteur lui échapper. Mais il savait que c’était uniquement parce que son paternel lui avait réservé quelque chose d’encore mieux.  Ce fut dés lors beaucoup plus dur de réprimer sa surprise puis son mécontentement quand il comprit qu’il n’irait pas à Washington mais que  ca serait Priscus qui irait à sa place !

Priscus… Bâtard de demi-frère, Héres avait toujours méprisé son comportement enfantin de rébellion. A fuir  la maisonnée, non seulement, il faisait se faire du souci à sa mère, mais en plus, il manquait toujours de donner une mauvaise image à la famille. Heureusement, le gamin savait changer de nom et même d’apparence parfois. Après tout, il n’était pas bête. C’était même une sorte de génie, chose qu’Héres avait toujours eu du mal à admettre, lui qui travaillait d’arrache pied pour obtenir la première place que son frangin pouvait avoir en un battement de paupières.  Et encore une fois, Priscus était récompensé… C'est lui qui assisterait aux conférences ? C'est lui qui allait participer à l'Histoire avec son père? Si ca n'était pas une injustice criante...!

-Priscus et vous…

Non, non, aujourd’hui la pilule avait du mal à passer.

-...à Washington.

Cette fois l’héritier ne cachait plus son mépris. Cependant, il ne contredit pas son père. Le simple fait de lui faire voir son mécontentement était une sorte de contestation à ses yeux.

- Bien, lâcha-t-il d’un ton sec. Si vous êtes sur de vous...Et que me réservez vous donc ici ? Reprit-il avec une mauvaise humeur qu’il recommençait à présent à essayer de retenir.  

Héres croisa les bras. Pour beaucoup ce geste était un mouvement de défense. Pour lui, c’était un geste de retenue. Il voulait retenir sa colère en lui. « Retenir les émotions », c’était bien ce qu’on était en train de lui apprendre, non ? Qu’est ce que son père voulait donc de lui ? Était-ce un test pour son frère ? Ou peut-être pour lui-même ?  La colère se dissipait difficilement mais la curiosité se dessinait aussi au fond de lui-même.

Face au petit discours de son père, Héres se sentait un peu penaud. Ce dernier allait lui laisser « les clés de la boutique » ce qui n’était pas rien, et ce durant une semaine. Ce n’était pas Washington mais c’était, il est vrai, plutôt consolateur. Gérer toutes les affaires en cours, veiller à l’avancement des projets, répondre aux doléances et prendre les décisions d’urgence… En réalité, c’était la première fois que l’héritier aurait autant de responsabilités. Ses sentiments de colère et de déception se mélangeaient à présent avec de l’étonnement et de la fierté.

-Oui, Père.

Il ne s’excusa pas car il savait que son père l’avait compris. Ca se voyait dans ses yeux. En revanche, il décroisa les bras, comme libéré d’un poids. Il écouta avec grande attention les raisons de son père.

Comme toujours, il avait raison et avait agit avec sang froid. Lorsqu’il mentionna le danger des conventions, Héres resta perplexe. Serait-ce vraiment dangereux ou était-ce le côté parano de son paternel qui ressortait ? Et puis, s’il y avait des risques, c’étaient donc son père et son frère qui les prenaient !

-Est-ce qu’il y a eut de réelles menaces envers vous ? Ou moi ?... N’est-ce pas… trop dangereux pour Priscus ?

Après tout, Priscus restait son frère et Héres savait que sous ses airs de dur, Priscus restait fragile. Héres savait pertinemment qu’il n’était même pas question de mentionner un éventuel sosie ou autre parade pour éviter un quelconque danger à sa famille. Non seulement, il y avait des choses à faire là bas que seuls les Yaxley pouvaient accomplir. Ensuite parce qu’il était à présent comme son père. Malgré le danger, il sentait le poids du devoir sur ses épaules.

Ensuite il expliqua la raison à avoir choisi Priscus pour le voyage. En deux phrases, son père réussi à les décrire à la perfection. Comme quoi, il n’était pas un leader pour rien car il savait en un coup d’œil ce qui devait être amélioré dans ses associés. Héres ne put retenir la jalousie s’insinuer en lui, comme toujours lorsqu’on mentionnait ce que son frère possédait et que lui n’avait pas.

-J’espère que ca lui sera bénéfique, comme vous le prévoyez.

Le jeune homme était sincère. Il espérait revoir revenir son frère en un autre homme, et non plus en un gamin capricieux. Qui sait, peut-être qu’en revenant, il sera capable de tenir une conversation digne d’intérêt. Ca ne serait pas si mal d’associer leurs forces communes. Mais pour cela, il faudrait vraiment un miracle pour que Priscus mûrisse. Sinon, Héres serait incapable de le supporter.

Lorsque son père termina par le sujet d’une éventuelle guerre planant au dessus de leur tête, il fut et ému et un peu fâché.

-Père, déclara t’il solennellement. Votre nom est le mien, même si le prénom diffère. Vous savez que je soutiendrai chacune de vos décisions là bas et que je m’associerai moi-même à ce qui se passera.

C’était une très belle intention de son paternel. Mais Héres voulait être certain qu’il sache que son fils serait toujours derrière lui, pour le meilleur comme pour le pire. Même s’il sentait que cette manœuvre politique pouvait devenir bénéfique pour lui dans son futur politique.

"Le monde est une jungle sans merci".
Il est vrai que son père avait vécu, bien plus que lui. Sa position comportait d'énormes risques et bien qu'Héres en soit conscient, il n'y avait jamais véritablement songé.

-"Il n'y a pas de menaces sans raison. Soit ce sont nos alliés qui nous montrent qu'on a mal fait notre travail, soit ce sont nos ennemis qui nous prouvent qu'on a été excellent..." Récita le fils. J'aurais dû m'en souvenir. N'est-ce pas de vous ?

Evidemment qu'il ne doutait pas que Priscus serait bien protégé, tout comme son paternel d'ailleurs. Cependant son frère avait tendance à prendre la poudre d'escampette et à se mettre lui-même en danger. Héres comptait néanmoins sur son meilleur ami, le journaliste pour lequel l'héritier avait de l'estime, qui serait en toute logique également présent lors des conférences. Il avait une bonne influence sur le gamin.

Pour toute réponse, Héres hocha la tête.

Il fallait néanmoins prévoir la réaction du leader. De nouveau, Héres avait parlé trop vite, avec ses tripes plutôt qu'avec son cerveau. Cela lui arrivait encore régulièrement, mais uniquement lorsque son père et lui-même étaient seul à seul. Peut-être était-ce une envie de lui montrer son admiration, son respect et son amour pour qu'il en fasse autant un jour.

-Vous avez raison, bien sûr. J'ai encore parlé trop vite, excusez-moi. C'est en effet une excellente précaution politique et j'en serai digne si jamais...

Le jeune homme laissa sa phrase en suspend, horrifié qu'une telle chose se produise. Ce n'était pourtant pas de sa faute s'il se sentait toujours aussi faible face au géant qu'était son père. Il fallait qu'il apprenne à ne pas mélanger les sentiments et la politique. Cependant, c'était chose quasi impossible lorsque sa famille jouait un rôle important. Or, les Yaxley jouaient et joueront encore un grand rôle dans le monde publique. Était-ce son inquiétude qui était devenue paranoïa ?

Lorsque son père mentionna sa future épouse, Héres rougit légèrement.

-On ne peut mieux. Nous nous sommes vus récemment pour parler des préparatifs. Elle fera une épouse parfaite, je suis heureux de ce choix que vous avez fait pour nous. Néanmoins... elle m'a semblé légèrement angoissée avec l'échéance qui se rapproche...Était-ce...pareil avec Mère ? Demanda t'il, plus timide qu'à son habitude.

Lorsque son père parla de son grand-père, une vague de regret s’empara du jeune homme. Il était encore bien jeune quand ce dernier avait succombé et il aurait donné beaucoup pour que le vieil homme n’ait pas regardé avec mépris l’enfant insouciant qu’il était à l’époque, pour plutôt apercevoir les contours de l’homme qu’il deviendrait. Il n’avait aucune rancœur envers cet homme qu’il n’avait finalement que très peu connu. En revanche, il y avait énormément de respect. Qu’est-ce qu’il n’aurait pas donné pour pouvoir lui parler une seule fois !

-C’est vrai que ca lui ressemble, ne put s’empêcher de dire Héres avec un petit sourire.

Si son père avait échappé à bon nombres d’attentats, son grand père faisait figure d’une véritable légende de personne littéralement intouchable. C’est la main de la Dame Nature qui l’avait reprit et non celle des hommes. L’invincibilité coulait dans les veines de son père et il espérait qu’il en soit resté un peu pour ses veines à lui aussi.

« Se préparer au pire »… Son père savait de quoi il parlait. Est-ce qu’il fallait obligatoirement d’un grand malheur pour construire un leader. Contrairement à son père qui avait perdu son grand frère, Héres n’avait jamais réellement souffert dans sa jeunesse. Il savait que cela était une faiblesse, mais qui allait sérieusement y remédier de son plein gré ?

-Je le sais Père, murmura son fils.

Mais au contraire, il ne savait rien. Beaucoup considérait le fait de n’avoir encore jamais perdu quelqu’un de proche comme une chance, le jeune homme au contraire, le prenait également comme une malchance. En effet, il ne parvenait pas à réellement envisager un décès.
Le jeune héritier médita par la suite les paroles du leader. Sur le fait qu’il avait du cœur.

-Je vois que Grand-père avait toujours les mots qu’il fallait…

Héres se mordit la lèvre et finit par oser demander.

-Avez-vous réussi ? A verrouiller votre cœur à une femme.

Il n’avait pas dit « Mère » exprès, sachant pertinemment qu’il y avait une autre femme dans sa vie. Il était quasi persuadé que son père savait qu’il savait. Mais il n’en avait jamais parlé, Héres se refusant toujours à poser une quelconque question à ce sujet épineux.

Lorsqu’il mentionna sa mère, Héres s’attendrit. Ainsi, elle aussi avait été nerveuse… De plus, sa mère était une moldue rentrant dans un monde devenu certes, hybride, mais qu’elle ne connaissait pas forcément.

-Je sais déjà que Virginia sera la parfaite compagne pour moi, affirma t’il sans sourciller.

La question suivante, presque anodine, estomaqua l’héritier. Il n’était pas gêné d’avouer qu’il avait effectivement eu des relations sexuelles avant son mariage. Un homme de cette trempe ne s’offusquerait pas pour si peu. Cependant, jamais Héres n’aurait songé que son père s’intéresse à ses…pulsions primaires. Il ne dut pourtant pas réfléchir pour savoir s’il allait lui dire ou pas la vérité. Il ne mentait jamais à son père. De toute façon, ce dernier le verrait bien vite. Son père était une excellent légimens.

-A vrai dire… Oui. Quelques fois.

Certes il n’était pas embarrassé de lui avouer cela, mais il préféra rester tout de même le plus vague possible.

« C’est bien la chose la plus difficile à faire, en vérité. Mais qu’en viendra le moment du choix, je sais que tu feras le bon. »

Ce n’était pas une réponse ca. Bon d’accord, c’était la réponse parfaite d’un politicien rôdé face aux questions insistantes des journalistes se laissant berner par l’idée que leur interviewé venait de répondre à leur question. Au moins, son père lui avouait que c’était très difficile. Cela rassura Héres. Son paternel avait lui aussi eut des problèmes dans ce domaine là et pourtant, il était toujours là, comme leader absolu.

-J’espère que vous avez raison.

Verrouiller son cœur à Virginia ? Pour le moment, ce n’était pas si compliqué, vu qu’elle n’y était pas réellement entré. Mais le problème était justement que le jeune homme souhaitait au fond de lui qu’ils aient un vrai lien entre eux. Et pour cela ne fallait-il pas « ouvrir son cœur » ? Héres y avait beaucoup réfléchi, lui qui ne se confiait jamais. Il l’avait imaginé devenir sa seule confidente. Il avait imaginé une confiance aveugle entre eux deux. Mais apparemment ce n’était pas la bonne voie à suivre…

Lorsque son père lui demanda s’ils comptaient avoir des enfants, Héres resta perplexe. Oui il en voulait. Mais en réalité, ne pas en avoir n’avait jamais été une option pour lui. Jamais il ne s’était posé réellement la question de « Est-ce-que je veux devenir père ? ». Il fronça les sourcils. Voulait-il un enfant parce qu’il était toujours bon de voir la lignée Yaxley se perpétuer ou bien parce qu’il voulait vraiment avoir un petit bonhomme à ses côtés ?

-Je n’en ai jamais vraiment parlé avec Virginia. Mais en réalité, je pense que c’est quelque chose dont nous voulons tous les deux.

Sa future épouse allait être une mère parfaite. Il le pensait sincèrement.

Le leader du Nouveau Monde regarda l’horloge et, par mimétisme, son fils fit pareil. Il était déjà bien tard et Héres s’en étonna comme toujours. Avoir des conversations avec son père faisait passer les minutes en secondes.

-Et bien, non je ne pense pas. Du moins, pas pour l’instant. Je sais néanmoins que votre porte restera toujours ouverte.

Il lui fit un petit sourire. Son père avait finalement réussit à lui faire avaler la pilule : Priscus irait à Washington et pas lui. Il était vraiment le meilleur.

( Hrpg : Fin ?)