Nous sommes au matin du 25 juillet 1756, une femme, Jeanne Chastel donne naissance a Camille, son sixième enfant. Le petit être est un garçon, ce qui est une grande chance pour cette famille de paysans très modeste. Mais il ne faut pas jurer trop vite sur la chance, car les bébés décèdent en général de malnutrition ou de maladies avant d'atteindre l'âge de trois ans. Pierre Chastel, son père, contemple le nouveau né emmailloté dans des langes crasseux et appose sur son front son chapelet en bois. Ils pourraient en faire quelque chose si les petits cochons ne le mangent pas. Trois jours plus tard le nourrisson est baptisé à l'église de Saugues.
Il grandit sans désagréments notables, et dès qu'il en est capable, ses parents lui confient la tâche de garder les troupeaux. Être berger n'a rien d'une vocation, mais il doit se montrer utile à sa famille, et sans instruction il ne peut prétendre à rien de plus. Le enfants qui gardent les troupeaux ne sont pas bien rares, et ces petits êtres considérés comme peu utiles doivent rentabiliser le pain qu'ils mangent. Camille s'occupe donc des moutons, obéissant comme un fils redevable doit l'être. Seul de longues journées et parfois de longues nuits dans la nature avec ses bêtes, il souffre souvent du froid, de la faim, et bien sûr du danger.
C'est au cour de l'été 1764 que ce qui est, normalement perçu comme une menace ordinaire, devient tout à coup la hantise de toute une région. Une jeune fille de quatorze ans est attaquée et mise en pièces par un animal sauvage. Dès lors on ne parle plus d'une bête, mais de la bête. Les attaques de loups sur le bétails ou les personnes isolées ont toujours existé, mais cette fois la paranoïa s'empare de Gévaudan. Des personnes sont tuées avec une sauvagerie extrême dans les bois, mais aussi en plein cœur des villages. On retrouve les victimes démembrées, la gorge déchirée, et souvent à demi nues. L'horreur de ces morts prend une ampleur qui se fera entendre jusqu'à Versailles. Le Roi fait organiser des battues, on traque la bête inlassablement. On tue beaucoup de loups, on fouille sans repos cette région hostile, vallonnée et boisée. Mais les attaques ne s'arrêtent pas pour autant.
La bête féroce attaque principalement les femmes et les enfants, tout le monde le sait, mais on ne peut pas se permettre de les mettre à l'abri pour autant. Camille noue son chaperon et glisse ses pieds dans ses sabots bourrés de paille. Nous sommes en septembre 1765 et la bête courre toujours dans les bois. Sa soif de sang semble insatiable. Le petit berger emporte quelques maigres provisions, et accompagné de son chien entraîne son troupeau sur les routes caillouteuses et désertes. La journée est belle et son insouciance infantile lui fait oublier le danger. Son frère lui a apprit à fabriquer un talisman qui le protége, lui et les moutons. Pour cela il prit un cailloux rond tout noir qu'il lui affirmait avoir trouvé dans le cimetière, et l'enferma dans un petit ballot en écorce, fermé avec un crin de cheval. Camille croyait dur à la puissance de ce trésors, et le portait continuellement dans sa poche. Naïf comme tout enfant, il n'était pas non plus idiot, et savait se montrer prudent. Avec ses frères et sœurs il jouait souvent au loup. La règle était simple, celui qui se faisait attraper était mangé. Il suffisait de courir vite, et de savoir donner des coups de poings. Pour l'instant il était le plus petit, et perdait souvent à la bagarre. Mais il avait bon espoir de pouvoir rendre la pareil à ses petits frères qui étaient encore pour l'heure des bébés emmaillotés. Il ne serait pas éternellement le plus faible, un jour il dicterait sa loi. Quant à la bête, qu'elle vienne si elle l'ose ! Il lui donnerait un bon coup sur le nez avec son bâton, et son chien la mordrait si fort qu'elle pisserait le sang par tous les trous. C'est tout fanfaronnant qu'il rencontra des soldats du roi, les salua poliment, et continua sa route tout le jour durant. Cette nuit il dormirait dehors, dans un des nombreux abris de berger qu'il connaissait bien, et reprendrait sa route le lendemain. L'objectif de ce voyage était d’emmener les bêtes dans des pâturages plus lointains et d'y passer quelques jours.
La nuit commençait à tomber, et il n'avait pas de lampe. Les moutons continuaient à marcher malgré le manque de lumière. Avait il traîné en route ? En tout cas il commençait à douter de sa direction. Avait il manqué l'abri ? Camille était hors de la route depuis de longues heures maintenant, et il devait tracer un chemin hasardeux au milieu du paysage escarpé. Un des derniers rayon du soleil se mit à luire sur un gros rocher qu'il avait l'habitude de prendre en point de repère. En effet il avait trop marché, mais la cabane n'était pas bien loin. Il fit faire demi tour au troupeau et trouva de justesse le petit édifice en pierre sèche. L'endroit était désert, humide et sale, mais il fut infiniment soulagé d'y être. Il fit entrer ses moutons avec l'aide de son chien, puis s'allongea parmi eux, dans le noir le plus parfait. Enroulé dans sa cape, serré contre ses bêtes, il avait nettement moins froid. Il n'avait plus rien d'autre à faire que dormir, et peu importe s'il avait faim.
Le sommeil du petit garçon fut de courte durée. A une heure inconnue de la nuit les moutons se mirent à s'agiter, à pousser des bêlements sourds, et son chien sortit de la cabane en aboyant. Camille se recroquevilla sur le sol en terre battue. Il ne voyait absolument rien, mais il sentit les bêtes remuer. Quant il comprit que certaines étaient en train de s'enfuir c'était trop tard. Quelque chose était entré dans l'abri, bousculant et renversant les animaux qui bêlaient avec pitié. Tout ceci se passa extrêmement vite, et il sentit un poids énorme le maintenir au sol. Un loup ? Non, même en proie à la plus complète des paniques son jugement ne le trompait pas. C'était un adulte. Ses mains étaient froides et puissantes, elles le tenaient à la gorge, et son genoux s'enfonçait dans ses côtes. Ses cris se perdaient parmi les hurlements des bêtes pendant qu'il sentait les dents saillantes de la créature le mordre au visage et à la poitrine.
Le supplice de Camille ne prit hélas pas fin à ce moment là. Après un temps qu'il ne savait estimer, il reprit connaissance. Ses mains et ses pieds avaient été savamment ligoté avec de la corde, et quand bien même l'énergie du désespoir lui aurait donné la force de se débattre, il avait perdu beaucoup trop de sang pour ça. Allongé à plat ventre, il sentait des douleurs vives partout dans son corps, témoignant des diverses fractures et blessures qu'il endurait. Il ne pouvait fournir assez d'effort d'esprit pour s'en rendre compte, mais il était toujours dans l'abri où il avait vécu cette nuit atroce. Son troupeau en revanche était bien loin maintenant, disséminé un peu partout dans les bois, pour ceux qui avaient survécu à la nuit. Les autres étaient réduits à l'état de quartiers sanglants un peu partout. L'ouverture de la cabane avait minutieusement bouchée à l'aide de pierres et de paille. Seuls quelques rares interstices faisaient encore passer une faible lumière, qui était insuffisante pour former des rayons. Ce dont Camille en revanche était conscient, mis à part sa sourde douleur, était qu'il n'était pas seul. Il sentait une masse inerte qui dormait, serré contre lui. La nuit l'adulte s'éveillait, le violentait, le mordait et s'abreuvait de son sang. Parfois il enlevait les pierres, sortait, mais revenait toujours avant le lever du jour. Jamais il ne l'achevait, le gardant affectueusement avec lui, soignant parfois les blessures qu'il lui faisait. Camille haïssait cet homme, car ses désirs odieux lui avaient démontrés de nombreuses fois que c'était un homme. Il avait tout d'une bête par moment, et dans d'autres il le cajolait affectueusement. Il lui parlait beaucoup, lui chantait des berceuses, mais jamais ne le détachait. Ses muscles meurtris souffraient atrocement, et il finit par comprendre que s'il voulait qu'il desserre un peu les nœuds, il devait se montrer gentil et surtout ne jamais répondre par la violence. Cela il l'avait apprit au prix d'une ou deux dents. La créature le nourrissait de viande à l'occasion. C'était peut être le seul point positif à être enfermé dans le noir, il ne voyait pas qu'il était obligé de manger. Mais le goût de viande crue lui provoquait parfois des crises de vomissements.
Ce calvaire dura près de trois mois. Bien entendu que sa famille s'inquiéta, mais au vu du troupeau abandonné et décimé, et de la bête qui rodait dans la nature, ils ne se faisait pas d'illusions sur le sort qui était arrivé à leur malheureux fils. Peu après sa disparition, un loup avait été tué par un porte arquebuse du roi au cour d'une battue, et on avait estimé qu'on tenait enfin le responsable de tout ces massacres. Celui ci était de bonne taille, et présentait un aspect hybride étrange pour un loup. L'animal fut naturalisé et conduit devant Louis XV. La bête ne fit alors plus parler d'elle, car recluse dans son abri, elle s'était trouvée une nouvelle occupation.
Au bout de cette longue captivité Camille n'avait plus rien à voir avec le petit garçon fanfaron et bagarreur qu'il était autrefois. Son esprit et son corps étaient brisés par les mauvais traitements, et comme son étrange geôlier, son humeur oscillait sans demi mesure entre la haine la plus crue et l'affection la plus sincère. Celui ci fini par lui proposer un pacte, qui offrait l'avantage de les lier pour toujours, et de le récompenser de tout l'amour qu'il lui portait. L'enfant alla jusqu'à le supplier de faire de lui sa créature, tant tout ce qui faisait sa personnalité était réduit à néant. Le soir même, la bête creusa une fosse, et y déposa le corps inanimé du petit garçon, avant de le rejoindre dans la terre.
Ce sommeil là, plus que tout les autres encore fut atrocement trouble. Dans la boue humide il se sentait aussi bien que sur un oreiller de plume, mais ses sens étaient agités et l'empêchaient de trouver le repos. Le silence de la terre n'était en réalité que des bruissements d'insectes, de mulots fouisseurs et de racines en croissance. Jamais il n'avait eut conscience de tous ces sons, de toutes ces énergies. Il tenta de bouger, pour mettre fin au brouhaha insupportable qui lui vrillait les tympans, mais le poids de la terre et des pierres au dessus de lui était écrasant. Il tenta de respirer, mais il en était incapable. Pas seulement parce que le sang séché et la boue remplissait ses narines et sa gorge, mais tout simplement parce que ce réflexe naturelle qui était venu à l'instant où il sortait du ventre de sa mère, avait disparu à jamais. Camille sentit, ou entendit, il ne savait plus faire la différence, des grattement au dessus de lui, qui se distinguait des gesticulations des verres de terre. On le dégagea et on se saisit de lui. Il ouvrit faiblement les yeux, tandis que son créateur lui défaisait ses liens pour la première fois. Ses membres habitués à être contrit lui semblaient complètement étrangers, tout comme ses sens décuplés et cette insatiable sensation de soif. La bête lui peigna tendrement les cheveux avec les doigts pour le débarrasser des mottes de terre. Puis il lui annonça que cette nuit il allait devoir trouver sa nourriture tout seul, et à cette idée l'enfant témoigna une très vive euphorie.
C'est en décembre 1765 que les meurtres de la bête du Gévaudan reprirent de façon plus atroce et spectaculaire qu’auparavant. Les attaques se firent de plus en plus rapprochées, et parfois on pouvait même arriver à penser que le monstre était doté d'ubiquité, car il parcourait de des dizaines de kilomètres pour tuer à très peu de temps de différence. Son audace n'était que plus grande, ainsi que son agressivité. A tout cela s'ajoutait un doute grandissant quand à la nature humaine de la créature, car parfois on retrouvait les victimes dénudées et leurs vêtements pliés à proximité. Cette seconde phase fut encore plus meurtrière que la précédente et prit fin en juin 1767 dans des circonstances ambiguës.
Pour la première fois depuis un très long moment, Camille se retrouvait tout seul. Bien qu'il n'y ait plus grand chose d'humain en lui, il ne pouvait s'empêcher d'être en proie à une intense crise de sanglots. Du sang s'écoulaient de ses lacrymaux, et il se barbouillait encore plus les joues en essayant de s'essuyer. Il aurait pensé que tout ceci ne finirait jamais, et qu'ils seraient ensemble pour toujours, comme promis. Le lien qui les unissaient disparaissait au fur et à mesure que son créateur expiait. Les paysans menacés et désespérés de voir les plus faibles d'entre eux tués et dévorés par la bête, finirent par faire fondre des médailles en argent de la Vierge, et avec le métal récolté, confectionnèrent des balles bénites. Combien de chance avaient ils que ça marche ? Décidément la fortune avait ses hauts et ses bas. Et cette nuit dans le bois de la Ténazeyre elle décida de peser enfin en faveur des braves gens qui avaient vu mourir plusieurs centaines d'entre eux à travers la région.
Se sentant comme orphelin, Camille mena pendant quelques années une vie secrète dans la nature, obsédé par une soif qu'il ne pouvait étancher. Cette fois ci il se fit beaucoup plus discret, retenant la cuisante leçon lui qui avait coûté la vie à la son créateur. Il évitait les villages, et enterrait dans les bois les corps des personnes dont il avait bu le sang. Attiré par l'odeur de la mort, il prenait la direction de Paris. Là bas les gens étouffaient dans des maisons insalubres, et la famine chronique les affaiblissaient. Les proies étaient nombreuses, et à la vue de tout ce monde, Camille ne pouvait s'empêcher de saliver. Le faubourg Saint Jacques et le faubourg Saint Michel furent ses premiers terrains de chasse, puis il poursuivit ses explorations nocturnes plus à l'est et découvrit en la Salpêtrière le lieu le plus fabuleux qu'un jeune vampire puisse imaginer. Ce lieu d'une cruauté innommable, à la fois hospice et prison pour femme, devient sa cachette et son terrain de jeu. Il y a d'autres enfants comme lui, des malades mentaux, des prostituées. Et c'est avec eux qu'il décide de vivre, se mêlant à la fange populaire et aux autres parias.
Pendant ce temps Paris était agité des troubles de la Révolution, et le peuple criait sa colère. Jusqu'à présent le jeune garçon s'était maintenu loin des bouillonnement de l'histoire. Mais ce fragile équilibre fut réduit à néant le 3 septembre 1792, quand des citoyens armés forcèrent l'entrée de la Salpêtrière et se livrèrent à une série de procès improvisés et d'exécutions expéditives. Se réveillant dans la nuit du 3 au 4, le vampire terrorisé, prit la fuite sans demander son reste.
C'est en quittant son refuge qu'il fit la rencontre d'une personnalité qui allait marquer un nouveau tournant dans sa courte existence. Lui qui, mis à part son créateur n'avait alors jamais rencontré d'autres vampires, se retrouva face à leur souverain et à sa cour rapprochée. Étaient ils aussi attirés par cette époque qui rendait le sang intarissable ? Avaient ils des desseins politiques en tête ? Camille était bien trop jeune pour se préoccuper de ces questions, mais le fait d'être accueilli par ses semblables le remplissait de bonheur. La vie de solitude du petit garçon prit fin de la façon qui lui était la plus favorable. Il embrassa alors la carrière de soldat dans l'armée vampirique, et son dévouement pour le roi Jaroslav lui fit prendre rapidement le grade de lieutenant. Lorsque celui ci manifesta l'envie de se rendre en Amérique au début de 20 ème siècle, Camille n'hésita pas un instant à l'accompagner. Il l'aurait suivit en enfer s'il l'avait fallut, tout en ignorant à quel point cette décision serait lourde de conséquence. En effet, en 1999 l'existence de leur communauté fut mise en lumière par les sorciers Rookwood et Yaxley, les mettant tous en péril. Le royaume vampirique, divisé alors de chaque côté du dôme, et pour une moitié privée de monarque, fut fragilisée. La mission du jeune lieutenant prend alors une importance qu'il n'avait pas envisagé auparavant. A l'aube d'une nouvelle guerre, il est prêt à se battre pour sa communauté et son roi.