VTrès cher inconnu,
Comme je suis contente d’avoir reçu ta réponse. Je ne sais pas ce que je deviendrais sans avoir un correspondant capable de m’écouter sans me juger et sans savoir qui je suis […]
Extrait de la lettre n°120
Aurelia Cecily Jenkins est la benjamine de la famille Jenkins, sorcier de sang pur et membres du conseil des mages fondateurs. Elle est née, un matin de février alors même que le soleil caressait les feuilles des arbres du jardin et illuminait les neiges encore présentes sur le sol de cette bonne vieille ville de Boston. Son plus vieux souvenir, ce n’est pas les bras de sa mère autour de son corps chétif de nouveau-née ou bien le bruit des paroles froides et sèches de son père mais le regard intrigué de son frère ainé qui est resté gravé en elle comme au fer chaud. Elle ne savait pas que lorsqu’elle avait attrapé son doigt avec la candeur de l’enfant qui s’éveille à la vie, elle avait par la même occasion scellée son destin avant de même de savoir seulement parler. Leurs deux destins étaient liés.
Cher Journal,
Pourquoi ne puis-je pas bénéficier des mêmes études que mon frère ou ma sœur ? Pourquoi dois-je apprendre des choses comme « faire la cuisine » ou bien « savoir entretenir une maison ? ». Je ne nie pas leurs intérêts pour ma vie future mais j’aimerai tellement pouvoir faire autre chose de ma vie. En quoi le fait que j’exerce une profession serait-il si dégradant ? […]
Extrait du journal intime d’Aurelia
Un autre instant très important dans sa vie a été le départ de son frère. La jeune fille ne se souvient plus vraiment quand son frère a quitté la maison familiale. Il faut dire qu’elle avait à peine deux ans à cette époque-là et que lorsqu’on est si jeune, les choses sont difficiles à se rappeler. Tout est un peu flou mais elle est certaine d’une chose : c’est qu’elle avait été très triste par la suite lorsqu’elle avait enfin pu comprendre. Elle avait vu à travers l’embrasure de la porte son frère et sa sœur ainés s’enlacer dans une embrassade d’adieu. Il l’avait alors aperçu et l’avait soulevé du sol pour la serrer elle aussi. Elle avait rit de se voir soulever et cela avait été un moment de gaieté passager. Un des quelques rares dont elle se souviendrait avec plaisir et une nostalgie toute particulière.
Très cher inconnu,
J’ai besoin de me tourner vers quelqu’un car je crois que je deviens folle. J’ai l’impression que la douleur ne va jamais partir. Que puis-je faire ? […]
Extrait de la lettre n°5
Elle devait avoir à peine dix ans lorsqu’on lui a diagnostiqué ce qu’elle surnommera son handicap. Un problème qui serait aussi son épée de Damoclès et la cause d’une profonde dépression qui la hantera à chaque instant. Elle avait un trouble de la personnalité multiple. Cela était arrivé par le plus grand des hasards. Elle avait à retenir des tas de termes magiques à retenir et elle s’était montré assez « médiocre » selon les termes de son père qui s’était lassé de la voir échoué à chaque instant. Il lui avait sortie le sermon habituel sur la supériorité des sorciers de sang pur à l’égard de la magie et de son rôle. Cela l’avait bouleversé et l’avait mis dans un état de crise assez incroyable. C’est sa mère qui l’avait vu régir. Apparemment elle aurait été passée par tout un tas de personnalité. C’est aussi à partir de cette instant qu’elle avait commencé à entendre dans sa tête la voix de cette qu’elle appellera Cecily, sa personnalité la plus dominante.
Cher Journal,
Cecily est tout ce que je ne suis pas. Elle ne cesse d’ailleurs pas de me le dire. Elle est celle que mon père et ma mère aurait voulu avoir comme fille. La parfaite sorcière, confiante et idéale. Je ne suis pas elle. Je n’ai pas confiance en moi, je ne suis pas particulièrement brillante et je doute même de cet idéal fou auxquels les miens croient. Je me sens anormal. Je sais que père et mère font tous pour que je reste moi-même mais parfois je sens le regard de père sur moi et ses yeux semblent me dire que Cecily est bien plus sa fille que moi-même. […]
Extrait du Journal d’Aurelia
Les potions, les crises et les cours de la « parfait femme au foyer sorcière » sont le quotidien un peu maussade d’Aurelia. Elle tente de s’accrocher et de croire que les choses iront mieux avec le temps mais c’est bien plus difficile qu’il n’y parait. Heureusement qu’elle a son solarium pour lui apaiser le cœur. Les plantes se fichent complètement de savoir si elle est parfaite et elles ne portent pas de jugement. Elle prend beaucoup de plaisir à prendre le temps de les faire pousser, éclore et embaumer l’air de leurs parfums. Son frère, sa sœur et sa meilleure amie Ilaria sont aussi d’un grand réconfort. Ils connaissent la situation et tentent de s’en incommoder du mieux possible. Cependant plus les années avancent, plus la date butoir du mariage s’approche, et plus Aurelia se sent mal à l’idée d’épouser son frère et encore plus d’avoir une famille avec lui. Cela lui semble si « anormal ». Mais hors de questions d’en parler à qui que ce soit : ni sa famille, ni ses correspondants, ni même le principal intéressé bien qu’ils soient proches pour pleins d’autres choses. De plus il y a cette étrange attraction qu’elle a pour Juliet Yaxley. Qui est-elle réellement et pourquoi Cecily semble la haïr tellement ?
Très cher inconnu,
J’aimerai tellement arrêter la « médication » que je reçois pour vivre la vie normale que j’ai. Je me sens tellement inadéquate. J’ai l’impression que je devrais abandonner. Ce n’est pas une faute si grave. Mon mariage approche et peut-être que c’est le seul moyen d’accepter cette idée sans remords et sans souffrance.
Brouillon de la lettre n° 100
Aujourd’hui Aurelia a encore vingt et un ans mais le jour de son anniversaire approche et bientôt elle devra faire face à sa destinée et faire un choix. Mais elle n’est pas prête pour cet instant. Elle est à un carrefour et il est temps de faire un choix. Plusieurs de ces options sont à choisir. Doit-elle renoncer à elle-même et laisser la plus puissante de ces personnalités prendre son corps afin de suivre ce que ces parents veulent pour elle, doit-elle au contraire se battre au risque de perdre l’esprit, ou bien doit-elle rejoindre Juliet dans son monde étrange et exaltant qui semble lui offrir une autre alternative à laquelle elle n’avait jamais songé ? Quelle que soit son choix, il sera certains que cela ne se fera pas sans faire souffrir au passage certaines personnes. Seul l’avenir pourra dire où les choses vont aller.
Cher journal,
Je suis à la croisée des chemins et j’hésite à faire un pas dans une direction. Je suis perdue…
Extrait du Journal d’Aurelia.