J'étais revenue depuis quelques jours déjà et je sentais sur mes épaules le même poids qu'à chacune de mes visites. En revenant à New Phoenix c'était redonner à mon patronyme la prestance complète de ce qu'il représentait. Il n'était pas aussi flagrant ou prenant qu'un Yaxley ou encore une Rockwood mais, lorsqu'on connaissait suffisamment la ville, le nom de Strauss finissait toujours par atteindre le creux de vos oreilles à un moment où à un autre. Je n'aimais pas que ce nom soit la seule chose qui m'identifie aux yeux des autres. Être la fille de mon père n'avait rien de bien gratifiant ou de particulièrement satisfaisant. C'était me réduire au minimum de mon identité. C'était aussi remettre en permanence sur le tapis la question de la succession. Quand allais-je enfin me lancer dans l'entreprise familiale, faire mes débuts en tant que Strauss? Je le voyais dans les yeux de chacun des partenaires commerciaux de mon père, ils n'attendaient que cela, pensant que je ne serais qu'une souris prise entre leurs griffes acérées de félins financiers. Il était vrai que si, jusque là, j'avais passé énormément de temps à voyager, je n'avais pour autant jamais complètement coupé le lien avec ce qui se passait chez moi. J'avais toujours pris le temps de m'informer, en prévision de ce jour où finalement je céderais aux attentes d'un père qui n'avait pratiquement jamais rien exigé de moi, me laissant ce temps infiniment précieux de décision. Même s'il m'aimait profondément, je savais que le fait de ne pas avoir d'héritier masculin avait toujours été quelque chose de complexe et de difficile à assumer pour lui. Je ne pouvais pas lui en vouloir, je savais combien il était dur de se débarrasser de vieilles habitudes. Enfilant une veste, je jetais un coup d’œil sur le papier sur le papier-écran qui suivait l'évolution du trajet de mes bagages et m'indiquait leur possible heure d'arrivée. Cette observation m’amena à une autre constatation: peut-être devrais-je trouver un endroit pour vivre rien qu'à moi? Avec tous les objets de collection que j'avais ramenés de mes voyages, j'allais finir par remplir ma chambre. Chambre qui ressemblait d'ailleurs traits pour traits à celle que j'avais laissée des années auparavant en partant voyager à travers le monde. J'avais l'impression de redevenir une enfant... Oui, définitivement, il fallait que je déménage. J'allais aller demander conseil à Viriginia, voir si elle n'avait pas des contacts dans l'immobilier. Elle vivait à New-Phoenix depuis plus longtemps que moi au final. J'avais trop vagabonder pour être certaines de ce que je trouverais ici. Checkant une nouvelle fois la livraison, je décidais qu'il ne fallait pas s'attendre à un miracle de rapidité et que je pouvais bien rendre visite à mon amie. Elle allait très certainement sauter au plafond en m'entendant dire que je cherchais une habitation. Cela signifiait que je me décidais à m'arrêter un peu plus longtemps que quelques jours, de ne pas repartir dans un long voyage tout de suite. Se poser, à 27 ans, cela paraissait presque être un euphémisme. Pour moi, c'était une perspective nouvelle. J'enfilais des vêtements correct, emmitouflant mon corps toujours habitué à la chaleur indienne dans un grand châle. Même si nous étions en juin et qu'il faisait agréablement chaux, j'étais encore frileuse. Et le décalage horaire n'aidait pas. Je descendis cher ma voiture et posait les mains sur le volant avec un frisson de plaisir. J'aimais conduire et jamais personne ne pourrait m'enlever ce petit plaisir simple. Je me dirigeais finalement vers la Tour Yaxley, où je savais que j'allais trouver ma meilleure amie. Elle s'était mariée la bougresse, en secret. Moi-même, je ne l'avais appris qu'à mon arrivée. On pouvait dire que même si ne pas avoir été mise dans la confidence m'avait peinée, j'étais sincèrement heureuse pour ces deux idiots. Bon, je n'avais pas encore décidé quel cadeau de mariage j'allais leur offrir mais, disons qu'il fallait que je mettes quelques petites choses au point. Je n'étais pas sûre qu'ils aient vraiment besoin de quelque chose. La route ne fut pas forcément longue, juste le temps de quelques digressions et j'étais déjà arrivée. La dernière fois je ne leurs avais pas laissé le temps de poser une quelconque question. Cette fois-ci j'allais prendre mon temps. Je n'étais pas pressée. J'entrais, me présentais à l'entrée et indiquait que je voulais rendre visite à Virginia Rockwood. Mais, on m'entraîna à l'écart au lieu de me laisser passer et je me retrouvais face à un homme, un inconnu. Que pouvait-il bien me vouloir? Je savais que j'avais un peu dépasser les bornes l'autre soir en déboulant comme une folle et en me rendant sur le toit pour retrouver mon ami mais... Ils n'allaient quand même pas la retenir non? Exaspérée, je recommençais à décliner mon identité.


-"Je m'appelle Olivia Strauss et je viens voir Mademoiselle Rockwood. Il faut que je vous le dise en quelle langue? Je peux vous le décliner en bulgare, en français, en italien et en allemand si vous voulez!"

Je n'étais pas particulièrement patiente, surtout quand on ne m'expliquait rien et que j'avais le droit à un silence particulièrement désagréable de l'espèce de gorille sans cervelle qui se trouvait devant moi. Je devais faire quoi? Lui chatouiller le cou pour qu'il réagisse ou pour qu'on m'explique? J'étais prête à le faire, sans aucun problème. Même pas peur!