Je ne pus retenir un long soupir.

Le déroulement de cette soirée ne me plaisait absolument pas. Pour bien commencer, on m’avait trainé ici de force, simplement pour faire une apparition à l’anniversaire de l’amie du frère de ma productrice, c’est vous dire à quel point  je ressentais toutl’intérêt d’y aller.
Mais surtout, il ne se passait absolument rien. Ouvrez un dictionnaire à la page « e » jusqu’à atterrir à la définition de l’ « ennui », cela ne vous donnerait jamais une assez bonne idée de ce que je vivais. La nuit se cadençait au rythme de la musique bien trop traditionnelle et bien trop peu entrainante à mon goût, et des quelques personnes qui se pressaient à ma rencontre, enchantées de pouvoir échanger quelques mots avec leur idole, voir une célébrité quelconque.

Je n’avais qu’une seule envie, m’éloigner le plus rapidement possible de cet endroit. Malheureusement la fête venait à peine de commencer, les gens déambulaient dans la petite salle à moitié plongée dans l’obscurité,  discutaient tranquillement autour d’une table richement décorée pour ceux qui ne dansaient pas simple devant une plateforme légèrement surélevée qui devait faire office d’estrade … ou de garderie pour personnes du troisième âge si je me referais au senior équipé d’une guitare acoustique qui semblait s’être fixé pour objectif d’endormir toutes les personnes présentes, si il ne désirait pas simplement les rendre sourdes en enchainant faux accords et mauvais tempo. Je ne pouvais m’empêcher de grincer des dents. Je devrais monter sur scène pour apprendre à ce vieillard comment traiter un instrument à cordes, mais malheureusement, petit un ce serait assez mal vu en tant que simple invité, petit deux, le vieil homme devait très certainement être beaucoup moins âgé que moi, et petit trois, quelque chose d’autre m’en empêchait, une sorte d’instinct vampirique, appelez ça comme vous le désirez, mais malgré le fait que je m’ennuyais ferme, je savais que je ferais mieux de rester ici à attendre patiemment que les choses se déroulent.

Qui sait, l’avenir me réservait peut être une bonne surprise ?

C’est pourquoi j’étais assis légèrement à l’écart de la populace, dans un coin sombre dans lequel, je le savais, personne ne me repèrerait. Mis à part les membres de mon groupe qui m’avait accompagné ici (et qui était à l’origine de la recrudescence de boissons alcoolisées, je ne pourrais jamais assez les remercier pour cela), seule l’invitée d’honneur savait où je me trouvais. J’évitais ainsi les questions un peu trop communes du genre : « Vous pouvez nous jouer un morceau », « Vous voulez bien devenir mon professeur ? », « Vous avez une petite amie ? », «Ça vous dirait de faire sauvagement l’am… » , ah non, cette question ne m’avait pas été posée pour le moment, et c’était bien dommage. Enfin … ce n’est pas cette nuit que je trouverais une petite proie à me mettre sous la dent, ceci dans tous les sens du terme … elles avaient toutes l’air un peu trop prude, et je pense que même si personne ne ferait le lien entre la disparition d’une demoiselle et moi, le reste du groupe et ma productrice se douteraient forcement de quelque chose, et je préférais éviter de me mettre à dos quelqu’un de qui dépendait toute ma carrière.

Je poussais un long soupir et me balança doucement sur ma chaise, sirotant doucement un verre remplie d’un liquide auburn, provenant d’une bouteille que l’on venait tout juste de m’apporter. Si j’en étais à savourer l’alcool plutôt que de le descendre à grandes gorgées, c’est que mon état était encore pire que je ne le craignais.

J’en étais presque à attendre avec impatience l’arrivée du soleil qui me donnerait une excuse toute trouvée pour me tirer. Certes, je pourrais partir maintenant et justifier un manque de sommeil mais mon manager savait pertinemment que je ne pouvais dormir QUE la journée, et que j’avais toute la nuit pour profiter pleinement de cette petite fête … ou plutôt pour servir d’objet de décoration dans  l’endroit le moins animé du monde. Je ne pus empêcher mes yeux de se fermer doucement, la musique avait comme quelque chose d’hypnotisant, comme le bruit des gouttes de pluie contre une fenêtre, avec en prime exactement la même musicalité. Si ça continuait comme ça, vampire ou pas, je ne pourrais m’empêcher de piquer un petit somme en cette début de soirée.

Pitié … que quelqu’un me sorte de là !

 
Je commençais presque à m’endormir sur ma chaise, mon verre totalement vidé reposait sur mon ventre alors que la voix du vieillard me berçait doucement, comme si elle m’hypnotisait de par son timbre insolite … Mon dieu, cette soirée redéfinissait ce qu’était l’ennui.
Alors que je commençais à comparer cette fête à un diner en tête à tête avec un loup garou (Un méchant loup garou, qui d’ailleurs, après une analyse rigoureuse, était loin devant sur l’échelle du divertissement), je sentis une petite main me tapoter doucement l’épaule, m’extirpant de mes pensées. Je relevais la tête et aperçu du coin de l’œil une jolie petite blonde dont le visage me rappelait vaguement quelque chose, quelqu’un avait sans doute dû me la présenter au courant de la soirée. Il me restait bien un peu de mémoire, finalement. Je lui rendis le sourire qu’elle me lança, mes yeux encore mi-clos alors que je m’étirais comme un chat sur ma chaise, tout en me demandant ce que me voulait cette adorable petite proie.  Elle me désigna quelqu’un de la main, et mon sourire s’agrandit d’avantage. Mademoiselle Cinder Park, quelle surprise, nous avions vraiment le don pour nous croiser tous les deux dans des endroits très différents des cercles que nous fréquentions habituellement. En tout cas, j’avais bien fait d’écouter mon instinct, voilà enfin de quoi  occuper ma soirée … ca promettait d’être très intéressant.

Avec un petit sourire, je vis son amie s’éloigner rapidement, elle se disait sans doute que suite à notre nouvelle rencontre, nous aurions besoin de temps, parler pour faire connaissance. Elle ne croyait pas si bien, j’avais effectivement beaucoup de choses à dire à « Lucy ».

Je me relevais rapidement et fit face à la demoiselle. Elle avait bien changé de la gamine que j’avais rencontré voilà déjà une dizaine d’année, alors que moi je restais toujours le même, le succès mondial en plus. Très peu de gens apercevais que je ne vieillissais pas, ils étaient soit aveugle, soit crétins, soit ils s’en foutaient royalement. J’aimais à penser que Cinder faisait partie de la troisième catégorie, ça nous ferait un nouveau point en commun, juste après le goût du mensonge.

J’hochais la tête dans sa direction et, sans quitter mon petit sourire ironique, lui répondit d’une voix rauque et moqueuse, ayant peu eu l’occasion de l’utiliser au courant de cette soirée, je comptais bien me rattraper maintenant.

« Ah mais Lucy te va très bien, de même que Claire, Jen, Stéphanie, Emily, Audrey … je continue ? »

J’eus un petit éclat de rire et passa ma main dans mes cheveux ébènes. Si je devais lister tous les noms sous lesquels Cinder m’a été présentée, je n’aurais jamais fini. Cette fille avait une imagination débordante, et ce coup-ci, comme toutes les fois précédentes, ça tournait à son désavantage. J’avais bien fait de venir finalement.

« Qu’est-ce que tu fais là? Je doute que ton manager t’ai aussi demandé de faire une apparition … je suppose que c’est la charmante demoiselle qui vient de partir qui t’as tiré ici ? »

Je lui fis un petit clin d’œil, je comprenais facilement à quel point le fait d’avoir été emmené ici de force pouvait être barbant. Rien que la musique aurait fini par avoir ma peau, si ce n’est les bruits de conversations on ne peut plus banales et l’ambiance qui s’apparentait moins à un enterrement de vie de jeune fille qu’à un enterrement tout court. Tout cela devait être en réalité une nouvelle forme légale de torture mise au point par ma productrice. Quoi qu’il en soit je n’avais plus l’intention de faire de vieux os ici.

« On peut s’éclipser discrètement si tu le désires, personne ne remarquera notre absence : on fait presque partie du décor »

Je lui désignais la porte d’un mouvement de tête. Je mourrais d’envie de m’éloigner de ce lieu maussade, et ces retrouvailles avec une vieille connaissance m’en offraient l’occasion rêvée.
Et puis, ça restait un excellent prétexte pour en savoir plus sur Cind’. Nous nous contactions rarement et elle adorait me laisser plusieurs mois sans donner le moindre signe de vie, au point que je ne voyais quasiment plus rien de la gamine rebelle de qui j’avais fait la connaissance, voilà des années. Ce soir, j’avais simplement envie de dissiper les zones d’ombres qui entouraient mon amie.

Et pour ce faire, j’avais toute la nuit.

 
Je ne pus retenir un petit rictus agacé lorsqu’elle m’apprit ce qu’avait tenté de faire le « Vieil homme ». Je ne supporte pas qu’on touche à mes amis, et peu importe l’état d’ébriété dans lequel il aurait pu être, cela ne l’excusait en rien. Si je m’étais écouté, je serais bien parti faire en sorte que le « scandale » attendu par Cinder ait lieu, a l’aide de quelques messes basses et d’un soupçon de regard hypnotique, mais la jeune femme avait l’air tellement pressée de quitter cet endroit que je ne me sentais pas le cœur à la retenir, ne serait ce que quelques minutes de plus.

C’est pourquoi je lui emboîtais le pas alors qu’elle se dirigea vers la sortie en esquivant les quelques personnes qui nous faisaient obstacle, occupées à bavasser d’un air maussade alors que cette affreuse musique continuait à couvrir leurs voix avec cet air bien trop morne au goût de mes pauvres oreilles. On dit que l’éternité est longue, surtout vers la fin, c’est peut être pourquoi j’eus l’impression que mon trajet vers la liberté se rallongeait à mesure que la grande porte se rapprochait … ou alors j’étais tombé dans une sorte de continuum spatio-temporel très mal placé et particulièrement chiant, au choix.

Quand enfin une douce bise me caressa le visage, signe que je venais enfin de m’extirper de cet enfer, je pus entendre un véritable hurlement de joie provenant de nul autre que de ma chère camarade d’évasion. Je ne pus retenir un éclat de rire, avant de la suivre dans son cri de liesse :

« LIBERTA !»

On venait sans doute de réveiller au moins 2 couples endormis, 4 gosses pour lesquels leurs parents avaient mis un trésor d’attentions pour les faire s’endormir et au moins une demie douzaine de vieux qui n’allaient pas tarder à ouvrir leur fenêtre et à nous crier dessus pour que nous « Arrêtions ce bordel immédiatement, sinon j’appelle la police bordel de dieu ! ».
Bien heureusement, ni elle ni moi n’en avions quelque chose à faire, nous étions tout à fait dans notre droit d’exprimer notre plaisir après nous être échapper de l’endroit le plus chiant au monde, non ?
Pas en pleine rue ? Pas mon problème.

Alors que je profitais pleinement du silence des rues plongées dans le noir, et de l’écho créé par notre bruyant cri commun, la jeune femme se tourna vers moi avec un énorme sourire et me demanda la suite du programme. Je lui fis un petit clin d’œil complice pour camoufler le fait que je n’en avais pas la moindre idée. Je n’aurais jamais cru que je tomberais sur elle aujourd’hui … enfin dès que je la croisais c’était souvent, pour ne pas dire tout le temps, inattendu, et je n’avais donc absolument rien prévu. Mais l’improvisation était l’un de mes domaines de prédilection, et je n’allais pas tarder à le démontrer :

« Je te proposerais bien de venir chez moi mais ça pourrait être mal interprété … je connais un bar assez classe pas loin, c’est moi qui régale »

« Assez classe » était un terme assez édulcoré pour dire que l’endroit était suffisamment cher et sélectif pour qu’on ait un GRAND pourcentage de chance de nous retrouver seuls là bas, mais ça elle n’était pas obligée de le savoir.
Alors que je m’apprêtais à lui donner des indications pour qu’on puisse s’y rendre plus facilement, j’avisais soudainement à quel point l’obscurité autour de nous était dense.. Pas de doute, la jeune fille n’y verrait pas à 2 mètres, d’autant plus que les sources de lumière autour de nous étaient presque inexistantes, et bien trop ténus pour permettre à un être humain de voir à plus de quelques pas. Heureusement, c’était bien suffisant pour moi. Je la pris précautionneusement par la main sans lui demander sa permission, (après tout je n’étais ni vieux ni bedonnant, je risquais bien moins de me prendre une gifle que l’autre cinquantenaire) et me mit à nous diriger à les travers le dédale obscur que formaient les ruelles de New Phoenix.
Au bout de quelques minutes, nous arrivions devant un bâtiment qui avait l’air d’un véritable phare grâce à l’enseigne assez étincelante pour brûler mes rétines au second degré qui indiquait le nom du lieu : « Nightingale ». La luminosité était suffisante pour qu’elle puisse y voir malgré l’absence de l'astre lunaire, aussi relâchais-je doucement sa main en me dirigeant vers les doubles portes devant lesquelles se tenait un homme massif qui devait me dépasser d’une bonne tête. Lorsque j’arrivais à son niveau, il se décala sur le côté avec un sourire tout en hochant la tête à mon encontre.

« Bonsoir Mister Campbell, mademoiselle. »

Je lui rendis un grand sourire et m’arrêta quelques instants pour lui serrer la main avant de passer l’entrée. Comme je m’y attendais, nous étions presque seuls, mais cette fois ci nous ne détonions pas dans le paysage, c’était déjà ça. Lentement, je me dirigeais vers la table que j’occupais habituellement et tira l’une des chaises en arrière en lui faisant signe de s’asseoir avant de prendre place à mon tour. Ce geste aurait pu paraître celui d’un parfait gentleman si mon sourire moqueur que je n’arrivais jamais totalement à effacer de mon visage n’avait pas entièrement cassé mon effet.
Dès que nous prîmes place, un serveur vint rapidement à notre rencontre et nous demanda ce que nous souhaitions boire. Je tendis la carte à Cinder en lui disant de prendre tout ce qu’elle souhaitait avant de souffler au jeune homme que je voulais : « Un bloody mary … non deux. Disons trois. Bon d’accord, mettez m’en six.»
Lorsque le jeune homme repartit chercher nos boissons, je croisais mes mains sous mon menton et observa la jeune femme avec un sourire amusé. Fidèle à moi-même, je ne pus m’empêcher de sortir une stupidité sans nom pour entamer la conversation.

« Finalement je comprends l’autre vieillard … T'as pas mal changé en 10 ans, « Lucy », dommage que je ne l’ai pas remarqué avant »