Mon père,

Je ne puis vous exprimer à quel point je me sens tel une jouvencelle en vous écrivant cette lettre alors qu’il serait pourtant si simple de venir vous voir et de vous parler à vive voix. Peut être est-ce la pudeur qui serre mon coeur, tord mon ventre et éteint ma voix m’empêchant ainsi de venir vous parler. J’espère que vous aurez la gentillesse extrême de me pardonner.

Un soir alors que je venais prier je suis tomber sur une personne qui m’a troublé, chamboulé, réveillé des sentiments que je pensais à jamais enfouis au fond de mon coeur et de mon âme. Ma conscience me dit que je me dois de ne pas rompre le serment que j’ai prononcé il y a de nombreuses années... et pourtant. Sa présence reste là au fond de mon coeur, au fond de mon ventre, au fond de mon esprit me réveillant la nuit, éveillant mon imagination dans des rêves de plus en plus obsédants, me coupant le souffle. Elle est venue comme un ver me ronger par dedans et réveiller en moi le feu de vieux volcans.

Mais cette douce ivresse me pousse aussi dans une forme de réclusion que je ne peux refréner. Je suis un homme déchiré être deux choses que j’aime. Dois-je couper mon coeur en deux ? Le pire c’est qu’au fond ça ne me fait pas de mal. J’ai juste envie de céder irrémédiable à cette tentation et me délecter de la douceur de sa peau, m’enivrer de son parfum et m'éreinter sous son corps.

Je n’aurais jamais cru que le Seigneur soit si clément avec moi pour m’offrir à nouveau le bonheur. Faut-il avoir attendu des siècles pour qu’il me donne à nouveau le bonheur. Oui mon père, je peux affirmer aujourd’hui que ce trouble me pèse autant qu’il m’enivre et me pousse à céder. Mon coeur était dur et pourtant il me semble qu’à chaque fois que je pense à cette personne je le sens de nouveau battre dans ma poitrine.

C’est dans votre demeure que j’ai fait cette rencontre un soir tard alors que je venais confier mes péchés à l’oreille attentive de notre Dieu. Comprendrait-il qu’un ancien clerc puisse trouver l’amour ? Comprendrait-il qu’après tant d’années de servitude j’ai l’irrésistible envie de céder. Lui aurais-je assez donné pour qu’il mette cette femme devant mes yeux ?

Les nuits sont si belles, et pourtant je suis si seul. Je ne veux plus vivre seul. Je ne veux plus expier une faute qui n’est pas réellement la mienne. Suis-je libre de choisir ma vie sans un interdit ? C’est ce que prône ce nouveau monde qui me semble pourtant très éloigné de moi et de mes convictions profondes. L’Eglise a toujours été un refuge pour moi et pourtant aujourd’hui, je sais que je ne reviendrais pas dans votre église pour Dieu mais pour avoir encore la chance d’être à ses côtés quelques instants.

Elle me trouble, me hante déjà et je me languis de la revoir, d’entendre sa voix, de la contempler au clair de lune. Que dois-je faire ? Devrais-je me déclarer ou attendre un signe de sa part ? Dois-je me faire à l’idée de ne jamais pouvoir partager quoi que se soit avec cette personne ?

« Ce que l’amour peut faire, l’amour ose le tenter. » Oh très chère Alice, oserais-je un jour vous dire à quel point vous me troublez, deviendrais-je l’homme que j’aspire à être depuis tant de temps à vos côtés.

Prenez pitié mon père pour un simple pêcheur et éclairez moi de votre lumière divine.

Richard Lionheart

Monseigneur,


Je vous remercie d'avoir pris la peine de m'écouter mais également d'avoir pris de votre temps pour me répondre. Votre réponse me touche sincèrement et je tenais à vous remercier encore une fois pour la peine que je vous ai causé.

Pour répondre à votre première question, il me semble facilement compréhensible que vous ne connaissiez pas mon nom. Pour tout vous avouer j'ai servi notre Seigneur il y a tellement longtemps que je ne sais même plus quand j'ai dû quitter les ordres. Il me semble que c'était au XIIème siècle. Pour tout vous avouer je ne suis pas de l'espèce communément appelé humain. J'ai arrêté d'être un humain il y a bien longtemps. Mon réconfort a été trouvé dans les bras de notre Seigneur et malgré le fait que j'ai dû abandonner ses rangs je n'ai jamais cessé de le servir à ma manière bien évidemment. Pour ne pas me faire découvrir et certainement tuer j'ai fait en sorte qu'on oublie mon nom. Si vous voulez je vous déposerais une page d'un des anciens manuscrits de registre que j'ai dans mon appartement. Vous pourrez ainsi attester de mon appartenance à la foi catholique bien que je ne pense pas cela nécessaire vu la gentillesse dont vous avez fait preuve en prenant le temps de répondre à la lettre d'une pauvre brebis égarée.

Mon enclin démesuré n'est pourtant pas si audacieux. Vous n'auriez pas survécu au temps des chevaliers romantiques qui parlaient en longues phrases et souvent beaucoup moins démesurées que ce que je dis ici. Mon enclin pour la jolie personne que j'ai rencontré aussi soudain qu'inespéré me déroute, me laissant penser que j'ai peut être un autre avenir que celui que je m'étais fondé. Vos conseils de modération sont à prendre en compte bien évidemment mais vous ne saviez pas que cela fait des siècles que je suis seul et malgré le fait que je m'en accommode aisément, il y a des moments où j'aimerais être moins seul terrestrement parlant cela va sans dire.

Le fait de vous trouver dur ou non est une notion totalement inconnue. Je ne peux juger un homme sur ses propos ou ses actes car tout le moment est maître de son destin. Les conseils prodigués souvent sont les meilleurs et permettent une vision globale de la situation. William me disait souvent d'écouter mon cœur et non ma logique. Je vous remercie de me rappeler que la logique est parfois la meilleure des maîtresses.

Pour répondre une nouvelle fois à votre question je suis effectivement un ancien clerc. Quand on ne vieillit pas, il n'est pas aisé de garder un poste même parmi les rangs du Seigneur. On m'aurait traité d’hérétique et sûrement mis sur le bûché chose qui aurait eu du sens au final. Sans vous mentir, je ne sais plus exactement l'âge que j'ai. Je sais simplement que j'ai plus de mille cinq cents ans. C'est lassant de compter les années, de compter ce qu'on a perdu, de laisser derrière nous des personnes chères sans avoir la chance de se dire que notre peine s'éteindra avec notre mort. J'envie les hommes de pouvoir tout ressentir avec passion et de pouvoir vivre comme si c'était le dernier jour de leur vie. Ils ne se rendent pas compte de la chances qu'ils ont. A vrai dire je dois avoir quelques tombes en Angleterre peut être même une centaine mais malheureusement il n'y a jamais rien au à l'intérieur des cercueils. La monotonie de mes journées a été modifiée depuis que j'ai rencontré cette jeune femme expliquant ainsi pourquoi je me sens tant transporté rien qu'à l'évocation de son prénom.

Votre expérience personnelle bien que tragique me permet d'avoir un autre avis sur ma situation et je vous remercie de m'éclairer ainsi.

L'état vampirique de Miss Thomson pourrait être un frein en effet si je n'étais pas moi même accablé de la même malédiction. Je maudis toujours ma créatrice de m'avoir infligé cette sentence. Peut être que je n'étais pas assez brave pour elle ou qu'elle pensait mon allégeance à mon roi vraie. Je ne sais toujours pas comment j'ai réussi à attirer son attention mais j'essaie de laver mes pêchés chaque jour que Dieu fait.

Je reçois votre invitation avec plaisir mais je crains de ne dérégler votre horloge humaine si je vous fais veiller toute la nuit. De plus je vous ennuierais certainement avec mes histoires d'un autre temps.

Merci pour votre temps et vos conseils.
Que Dieu vous garde.


Richard Lionheart.

Mon très cher Ami,


Suivant vos conseils j'ai revu Alice il y a peu de temps et la soirée fut des plus exquises. Malgré nos conversations avisées et le fait que je me sente bien à ses côtés, je dois bien avouer qu'il est difficile pour moi de savoir où je me positionne.

En effet comme je vous le disais la soirée fut délicieuse. Je m'entends à merveille avec Dame Alice mais... Il y a quelque chose qui... Semble étrange. Elle est si frêle que j'ai l'impression de pouvoir la briser rien qu'en la touchant alors que je sais très bien qu'elle est comme moi une personne indestructible ou du moins pas facilement destructible.

De plus je ne sais quand je pourrais la revoir car je dois m'occuper d'une brebis perdue loin de son troupeau. Cette dernière est un nouveau né dans notre espèce et je me suis fait le serment de l'aider. Je passe donc énormément de temps avec cette personne et il est compliqué pour moi de savoir où est ma place dans ce schéma.

Peut être que je me pose trop d'interrogations et que les exposer sur papier m'aidera à trouver des réponses mais je tenais tout de même à vous demander votre avis à vous qui avait su m'éclairer la dernière fois avec toute la bonté du monde.


Avec mes remerciements les plus sincères.
Richard Lionheart.

Cher Armand,


Pardonnez ma franchise. Considérez la comme une preuve que je n'ai pas parlé à un ami depuis longtemps. Je ne pouvais décemment pas vous demander de nous chaperonner. Je vous rappelle – bien que je doute que vous ayez pu l'oublier – que nous sommes Miss Thompson et moi deux vampires. Je ne pouvais pas vous obliger à rester éveiller toute la nuit à nous écouter parler d'un autre temps, de nos histoires passées. Le sommeil est très important pour vous comme pour nous et malheureusement nous vivons comme deux opposés qui ne peuvent se rejoindre. Sachez tout de même mon ami que je n'ai jamais voulu vous blesser en ne vous parlant pas de notre escapade qui a été je vous rassure faite dans la bienséance. Je ne voudrais surtout pas entacher la réputation de Miss Thompson.

Je vous remercie pour vos éclaircissement et je sais que vous l'avez fait de bon cœur. Cependant vous apprendrez mon ami à force de me côtoyer ou plutôt de m'écrire que je suis également quelqu'un qui a une grande sensibilité. Je pense comprendre Miss Thompson et je comprends aisément qu'elle n'est pas du tout prête à oublier son passé. J'ai mis plus de trois siècles avant d'arriver à me détacher de l'emprise de mon passé. Je ne doute pas que Miss Thompson y arrivera et elle deviendra une personne encore plus belle en faisant cela. Je sais qu'elle va arriver et en tant qu'ami je ne peux que la soutenir dans cette voie et ne surtout pas être un obstacle dans sa réalisation.

Cependant pensez-vous vraiment ce que vous avez écrit ? Que savez-vous de ma déception ? Je n'en ressens aucune. Vous savez les choses sont vraiment différentes pour nous vampire. Nous pouvons être triste pendant quelques secondes mais de là à parler de déception. Les sentiments sont fugagces pour nous. Je vous demande une nouvelle fois de m'excuser d'être aussi franc avec vous mais je ne puis en être autrement.

Concernant votre inquiétude je n'en suis pas à l'origine. Je ne vis pas à Boston ou du moins je n'y passe que le temps nécessaire à aider mon roi dans ses affaires. Je peux cependant peut être tenté de me renseigner afin de vous donner des nouvelles de notre amie commune. Cela m'attristerait qu'elle soit dans une mauvaise posture et si je puis l'aider je le ferai bien entendu.

Le dernier point que nous évoquons ensemble est sûrement le plus douloureux pour moi. Une nouvelle fois vous vous méprenez sur ce qui nous lie. Je m'occupe simplement d'elle. J'essaie de l'aider à accepter sa nouvelle condition de vampire. Je voudrais qu'elle soit mieux dans sa peau. Je fais de mon mieux pour l'aider mais je ne pourrais pas complètement l'aider. Laissez moi vous conter une histoire. Quand je suis devenu vampire, je n'étais pas seul. J'avais ma créatrice avec moi. Elle m'a guidé et aidé à accepter ma condition. Elle m'a appris des choses que seul un créateur peut apprendre. Mon amie n'a pas cette « chance ». Son créateur est mort. Je l'ai trouvé. Elle était seule et je l'aide du mieux que je peux parce que je ne peux pas laisser quelqu'un en arrière surtout quand je sais par quoi elle va passer. Elle va se retrouver seule et elle fera la bêtise de se faire des amis qui mourront tous un jour malheureusement. Les amis vampires ne restent pas longtemps. Il y a toujours des problèmes entre nous et on se sépare avant de se retrouver à nouveau des décennies plus tard. Mon amie va subir tout cela. Elle verra sa famille mourir sous ses yeux sans qu'elle ne puisse rien y faire. Elle ne pourra pas leur imposer l'immortalité parce qu'elle sait que ça serait pêché que de transformer quelqu'un.

Je me perds pardonnez-moi. Vous parlez de notion de famille mais j'en ai une. J'ai un fils. Enfin pas à proprement parlé. Je l'héberge, je le nourris, je le lave – quand j'arrive à l'attraper et je l'aime comme un père peut aimer son enfant. Il me fait tourner en bourrique oui mais il est là et je l'aurai avec moi pour l'éternité. Oui il est comme moi et non je ne l'ai pas transformé. Comme je vous l'ai dit je ne ferai jamais cela à quelqu'un. Pourtant j'en ai eu des occasions. J'aurai aimé garder certaines personnes à jamais avec moi mais Dieu seul choisit le destin de ses brebis.

Vous êtes comme toujours de bons conseils. Même votre côté moralisateur peut avoir son charme.

J'attends avec impatience de vos nouvelles et espère pouvoir enfin vous rencontrer officiellement. Les discussions de visu sont à mon avis les meilleurs.
Bien amicalement.

R. Lionheart