Septimus entra dans l’hôtel qui avait été attribuer aux inquisiteurs pour la durée de la convention. Il avait passé la journée à esquiver Tabatha Sanders et ses acolytes qui semblaient décider à lui filer le train. Cette convention commençait à lui courir sur le système. Cette accusation de meurtre n’était pas pour aider les inquisiteurs à gagner la confiance du président Marshall. Le cracmol se dit qu’il aurait du montrer beaucoup plus de prudence le matin où il était venu «rendre visite» à Régina.

Sa soeur... Il n’aurait jamais pensé que penser à elle pouvait être aussi douloureux. Il n’avait jamais voulu sa mort même au paroxysme de sa haine. Que faisait elle dans cette chambre à cette heure de la matinée ? Le lieutenant secoua la tête mentalement et se dirigea vers l'ascenseur qui devait le conduire dans ses appartements. Il avait besoin d’un douche, d’un repas et d’un flacon d'aspirine. Alors que la porte de l’ascenseur était sur le point de se refermer deux autres personnes : Calvin et Camila entrèrent pour le rejoindre. Une troisième se présenta mais la garde du corps lui annonça d’une voix impérieuse que l’élévateur était plein et qu’il fallait attendre le prochaine.

Septimus haussa un sourcil mais ne fit aucun commentaire. Il se tourna vers Camila qui semblait éviter son regard comme si elle craignait que son mentor y lise quelque chose de déplaisant.

Les portes se refermèrent complètement et l’ascenseur parti. Au bout d’une dizaine d’étages, alors qu’ils étaient tous plongés dans un mutisme presque gênant - Septimus avait à présent la migraine - Calvin déclencha l’arrêt d’urgence de l’élévateur. Ce dernier s’arrêta brusquement et Hopkins manqua de perdre l’équilibre.

Il regarda ses cadets alternativement. «D’accord. Vous avez m’expliquer ce qu’il se passe maintenant...»

Calvin fut le premier à remarquer que Septimus venait de pénétrer dans l'hotel. Il donna un petit coup de coude à Cam et, sans un mot, ils le suivirent pour s'engouffrer avec lui dans l’ascenseur. C'était enfin le moment de vérité. Durant la petite vingtaine de minutes où ils l'avaient attendus, les deux amants n'avaient échangé aucune parole, ruminant en silence leur propre pensée et surtout, leurs douloureux doutes.
Car oui, le garde du corps doutait de son mentor. Cet homme qui lui avait tout apprit, cet homme qui lui avait tendu la main avec Cécilia... Cécilia qui avait peur de ce dernier de son vivant...Tout devenait plus complexe dans sa tête et les sentiments brouillaient sa raison.
Alors quand enfin il vit arriver Septimus, ce fut plus un sentiment de soulagement que d'appréhension : enfin ils allaient avoir son explication.

Un homme voulu les suivre mais Calvin, comme convenu, s'assura grâce à un regard menaçant et des paroles creuses qu'ils ne seraient que tous les trois.
Le silence était pesant et le garde du corps pouvait presque entendre les battements du coeur de Camila. C'était le moment. D'un geste ferme il poussa sur le bouton d'arrêt d'urgence et l'ascenseur s'immobilisa.

Cam prit la parole en première. Elle était allée droit au but ce qu'il appréciait particulièrement. Les preuves étaient accablantes et Calvin espérait que l'homme qu'il respectait toujours ne nie pas. Septimus était un homme intelligent, et avec le recul, il avait certainement dû réaliser que la femme qu'il aimait le craignait...

Calvin qui n'était pas un bon orateur n'ajouta qu'une petite chose, le regard planté dans celui de son mentor:

-On veut la vérité. On a besoin de ta version des faits.

Oui, c'était évident mais parfois, dire clairement les choses était important. Il ne voulait pas de mensonges ou de fausses excuses mais surtout, il était prêt à entendre la vérité, même si elle n'était pas bonne à entendre. Calvin jeta un regard à Cam. Lui, il pouvait encaisser. Difficilement, certes, mais encaisser tout de même. Mais la jeune femme à ses côtés ?

-

Les bras croisés, Septimus entendit Camila lui annoncer qu’il avait des explications à leur donner. Le lieutenant haussa les sourcils devant l’injonction de la jeune femme. La jeune femme n’avait pas pour habitude de lui parler de cette fonction. Mais le plus intriguant était encore l’attitude de la Grande Inquisitrice. Elle semblait totalement bouleversée.

Elle lui parla d’un enregistrement et Septimus pensa légitimement qu’il s’agissait des images de son passage à l’hôtel où avait été retrouvé les corps de Charles Hopkins et de Régina Andropova. Mais comment la mort de deux sorciers pouvaient perturber à ce point la jeune femme. Le sentiment de colère aurait été compréhensible. L’accusation de Hopkins mettait a mal leur rapport fragile avec le président Marshall mais l’affectation profonde de Camila n’avait aucune raison d’être dans le contexte.

« Maman avait peur de toi, le savais-tu ? »
«On veut la vérité. On a besoin de ta version des faits.»

Ces deux répliques auront l’effet de deux énormes gifles sur la conscience du cracmol. Il regarda d’abord ses deux anciens élèves unis dans le même but, le contempler comme s’il était porteur du plus terrible secret de tout le temps. Il sembla un instant à Septimus que les freins de l'ascenseur avait lâché et que la cabine faisait une course vertigineuse vers le sol pour s’y écraser.

Le lieutenant finit par soupirer et ferma un instant les yeux histoire de maîtriser l’effroyable vertige. Il prit appui contre le mur et redressa finalement la tête.

«Qui l’a découvert ? Qui vous a mis sur la piste ?»

La réaction de son mentor eut l'effet d'un coup de poing pour Calvin : il n'avait pas eu le culot de nier, c'était un bon point mais il évitait de répondre clairement !
A ses côtés, Cam commençait à perdre le contrôle d'elle-même: d'abord des cris et puis un rire nerveux, sans joie qui glaça le sang de son garde du corps. Il savait, elle n'avait pas encore craqué parce que les circonstances lui interdisaient : ils étaient en territoire hostile, entourés d'ennemis, comment dès lors pouvait-elle ne montrer qu'une once de faiblesse ?
C'était trop pour elle et Calvin était heureux qu'ils soient seuls dans cet ascenseur. Il avait préalablement veillé à ce que les caméras et les micros soient mit hors service pour la journée. Il ne voulait aucun témoin, peut-être était-ce un peu aussi pour protéger celui qu'il considérait encore presque comme un père.

Alors, un peu par défi, il placa sa main dans le creux du dos de la jeune femme, essayant de l'apaiser avant de prendre la parole à son tour

-Septimus. Ne dévie pas du sujet.

Calvin se racla la gorge et prit une grande inspiration.

-As-tu fait du mal à Cécilia ? Est-ce que c'est toi qui l'a tué ?

Cette dernière phrase avait été chuchotée d'une voix rauque. C'était dit. Voilà, leurs doutes étaient à présent visibles par l'homme qu'il respectait toujours. Il espérait encore que ce dernier pète les plombs en apprenant qu'ils le soupçonnaient réellement.
Que Cécilia ait eu peur de son amant, Calvin pouvait encore l'accepter bien que savoir cela le dégoutait. Mais est-ce que c'était Septimus qui l'avait tué ? C'était la vraie question, l'essentiel, la vitale.
Son regard était fixé sur le visage de l'inquisiteur, analysant chaque réaction, priant presque lui qui n'était pas croyant qu'il lui foute un nouveau pain dans la figure...

Septimus observa Camila se mettre en colère alors qu’il demanda qui était à l’origine de la rumeur sur sa relation avec Cécilia.

«Bien sûr qu’elle me regarde Camila... J’ai le droit de savoir par qui vient cette accusation.»

Le lieutenant laissa filer une grimace que Camila lui reprocha de ne pas démentir l’information. Il détourna légèrement les yeux pour observer les cuivres soigneusement astiqués qui ornaient la cabine de l’ascenseur. «Les histoires d’amour ne sont pas toujours à l’eau de rose. Parfois, après plusieurs années, on peut connaître des traverser du désert.»

Les yeux bleus aciers de Septimus se posèrent à nouveau sur la jeune femme qu’il avait élevé. «J’aimais ta mère, Camila. Je l’aime encore... Mais je n’ai pas toujours été quelqu’un de bien avec elle...»

Calvin lui demanda s’il avait fait du mal à Cécilia et surtout s’il l’avait tué. Septimus regarda un long moment son ancien élève avant de lancer :

«Je ne sais pas...»

Il avait conscience que sa question allait provoquer un élan d’incompréhension et il prit une inspiration avec d’annoncer la suite.

«Cécilia et moi traversions une mauvaise période. Je la sentais de plus en plus distante. Elle semblait avoir perdue sa foi en notre combat. Un soir, je lui ai demandé des réponses. Elle m’a dit qu’elle voulait tout arrêter. Elle pensait que la lutte qu’elle avait engagé était à présent vaine et qu’il fallait pardonner aux sorciers, apprendre à vivre avec eux, parmi eux... J’ai cru que le sol s’était effondré sous mes pieds. J’ai tenté de lui parler, de lui faire entendre raison mais elle s’est entêtée. Nous nous sommes mis en colère, le ton a monté et.... je l’ai frappé. Elle est tombée par terre et... j’ai ressenti... cette haine... cette joie aussi... Je l’ai menacé. Je ne voulais pas que tout s’arrêtât ainsi. Alors je lui ai promis les pires tortures si elle parlait de ses doutes à qui que ce soit.»

Septimus ferma les yeux un instant. Une boule s’était formée au fond de sa gorge et il déglutit avant de parvenir à parler à nouveau.

«J’ai regretté aussitôt mais je ne pouvais plus revenir en arrière. Je devais maintenir la pression. J’ai joué mon rôle de tyran quelques temps, sans plaisir, et deux semaines plus tard, Cécilia était morte... J’ai trouvé le corps... et le pistolet. J’ai décidé de le cacher. Je voulais entretenir le mythe de la Première Inquisitrice, en fait un symbole pour nous tous...»

Les épaules du lieutenant s'affairèrent doucement. Il ressemblait brusquement à un vieillard courbé par le poids d'une vie trop longue et trop dur.

Il ne l'avait pas tué.
Calvin se répétait cette phrase en boucle, le coeur battant à tout rompre, assaillit par beaucoup trop de sentiments indescriptibles.
Soulagement de savoir cela, haine d'apprendre qu'il avait non seulement frappé Cécilia mais aussi promis les pires tortures...et joué le tyran pendant deux semaines.
Si Calvin avait été dans la rue bien plus souvent qu'il ne le prétendait, jamais il n'avait levé la main sur une femme désarmée et innocente.
Il essaya de rassembler ses souvenirs des derniers jours de la grande Inquisitrice mais rien de particulier ne lui revenait en tête: il n'avait détecté aucun changement dans son comportement, ou s'il l'avait remarqué, il l'avait à présent oublié...

Il laissa Cam montrer toute sa haine et son dégoût qu'il partageait.
Elle était devant lui et il ne voyait plus son visage. Un peu derrière, il fixait Septimus d'un regard dur, froid par dessus la tête de celle qu'il aimait.
Il voulait lui montrer sa déception amère, sa haine dévorante et son dégout profond.
Enfin, elle lui avoua d'un ton victorieux l'entente avec le Nouveau Monde. Aujourd'hui Calvin n'était plus sur de rien et surtout plus en politique. Ses sentiments bousculaient ses convictions car les deux femmes qu'il avait aimé et aimait réellement s'en éloignaient.

Lorsqu'il prit la parole, sa voix était posée et grave. Il agissait pour protéger Cam, peut-être pour se venger de l'homme debout avec eux.

-Tu ne seras plus jamais seul avec Camila. Jamais.

Calvin contourna un peu Cam et fit un pas en avant pour se rapprocher du visage de Septimus. Il était à deux doigts de le saisir par le col mais il se retint. La nouvelle l'avait peut-être aussi trop affaibli que pour lui donner l'énergie nécessaire à un coup de poing bien placé.

-Comment tu as pu faire ça ?

«Maman est et sera toujours la Première Inquisitrice, pas besoin de toi pour entretenir ce mythe...»

Ce fut ces mots qui firent le plus de mal au lieutenant. De tous les rôles qu’il occupait au sein de l’Inquisition, celui de «gardien de la mémoire de Cécilia Barbosa» était, à ses yeux, le plus important. Le cracmol vivait pour et dans ce mythe depuis tellement longtemps maintenant que l’en déposséder était aussi douloureux pour lui que de l’amputer des quatre membres avec une épée rouillée. Il redressa sa tête et regarda la jeune femme dans les yeux.

«Tu n’as pas la moindre idée de ce qu’il y avait vraiment entre ta mère et moi, Camila. Tu ignores tout des réelles épreuves que nous avons traversé et des sacrifices que nous avons du faire au nom de La Cause...»

Septimus fronça les sourcils devant la révélation de la jeune femme sur son marché dans le leader du Nouveau Monde. «Quoi ? Quelle entente ? Qu’est ce que tu as fait ?»

Il savait qu’il devait avoir l’air d’un fou. Ainsi il comprit la réaction de Calvin quand celui ci annonça à Camila qu’elle ne serait plus jamais laissée seule avec lui. Le garde du corps fit un pas en avant pour se rapprocher de Septimus. Le cracmol pouvait sentir la colère, la déception et le dégoût réunir dans les quelques paroles de son ancien élève : «Comment tu as pu faire ça ?»

«Comment aurais-je pu agir autrement, Calvin ? Dis moi» répliqua simplement le lieutenant. Calvin plus que Camila aurait pu comprendre Septimus. Lui aussi venait de nulle part et n’était rien avant d’entrer dans le clan des inquisiteurs et de trouver un sens à son existence. Mais contrairement au Cracmol, l’ancien taulard ne saurait jamais faire passé La Cause avant la femme qu’il aimait. Camila serait toujours la première et le lieutenant savait qu’il en était de même du côté de la Grande Inquisitrice.

Septimus regarda Camila et une vague de tristesse et de lassitude envahie son visage. Il aimait tellement cette gamine. Le lieutenant se redressa faisant face a ses deux élèves.

«Tu as toujours été protégée, aimée, acceptée, Camila. Tu es entourée de proches et d’amis fidèles et dévoués. Tu n’as jamais été dépouillée de tout ce que tu avais, jusqu’à ta dignité, jusqu’à ton statut d’être humain... Quand de telles choses arrivent, tu ne peux que t’accrocher à un idéal et tu finis par ne vivre que pour lui.»

Alors qu’il parlait, il commanda mentalement à son armure de couvrir l’ensemble de son corps sous ses vêtements. Il ignorait encore quels étaient les plans de Camila pour lui.

«Et je suis désolé, Camila mais si tu veux passer un accord avec un leader sorcier, tu devras d’abord te débarrasser de moi... Je suis un vieux fanatique après tout»

Septimus évalua la situation. Ils étaient coincés tous les trois dans un ascenseur avec un marche de manoeuvre très réduite. Hopkins pourrait assommer Calvin et peut être neutraliser Camila suffisamment longtemps pour prendre la fuite. Mais s’il manquait son coup, l’inquisitrice aurait le temps de sortir son arme et de lui tirer dessus. La balle risquait de rebondir sur l’armure et de tuer la jeune femme. Hopkins soupira et ordonna à sa carapace de se replier.

«Et Saevus Yaxley le sait. Il le sait Camila ! Ne comprends-tu pas ? Il croit que j’ai tué ta mère et il espère que je recommence avec toi pour empêcher cette entente de se faire. C’est pour cela qu’il t’a fait cette «révélation» à mon sujet...»

Doucement, Septimus défit le bracelet de commande de son armure et prit son arme à feu par le canon. Il présenta l’ensemble à Calvin.

«Je ne lui ferais pas ce plaisir... Mettez moi aux arrêts...»