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 Voir Venise...et mourir - ft Armand

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Anahia Tal'ahjon
Anahia Tal'ahjon

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ϟ Métier : Professeur de divination à l'école de Magie d'Ilvermorny ϟ Âge : 38 ans ϟ Race et sang : sorcière Mohawks ϟ Particularité : voyance ϟ Statut civil : Mère célibataire

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ϟ Messages : 557 ϟ Date d'inscription : 21/06/2016 ϟ Disponibilité RP : 1x par semaine ϟ Célébrité : Karina Lombard ϟ Crédits : pinterest

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MessageSujet: Voir Venise...et mourir - ft Armand   Voir Venise...et mourir - ft Armand Empty23.02.18 18:12


Voir Venise...et mourir
Sirat al Bunduqyyiah


Certains passages de ce post et de ceux qui suivront suivent la recherche de la Clavicule de Salomon par Armand et Anahia dans le nord de l'Italie. Ces passages sont des libres ré interprétations de l'œuvre littéraire et graphique de Hugo Pratt intitulé "Fable de Venise" (Sirat Al Bunduqyyah) publiée chez Casterman en 1981. Tout cela relève donc d'une fiction de fiction, et si vous ne connaissez pas ou mal le travail de Pratt, foncez...

Musique:

Anahia entra dans la cabine de toilette et referma la porte derrière elle, se coupant des bruits qui provenaient du hall de l’aéroport Marco Polo di Venezia. Après s’être assurée que le verrou était bien fermé, elle sortit sa baguette de la poche intérieure de sa veste en daim clair et entreprit de tracer dans l’air tous les sortilèges de protection qu’elle avait pu apprendre au cours de ses années d’études et après. Trouver la concentration d’y parvenir était une tâche plus ardue qu’elle n’aurait bien voulu l’admettre. Ses mains tremblaient de mouvements incontrôlés, son cœur battait aussi fort que s’il avait voulu sortir de sa cage thoracique. Chaque bruit, chaque claquement de porte, chaque alerte sonore qui résonnait un peu plus loin la faisait tressauter, et elle jetait en permanence autour d’elle des regards inquiets comme si quelqu’un allait  sortir d’un mur ou encore de la cuvette des toilettes comme dans un mauvais nanar. Mais heureusement, il n’y avait qu’elle dans cette cabine de toilettes presque propre, et la faïence blanchâtre de faisait que refléter la lumière impersonnelle et dégueulasse du néon accroché au plafond.
Quitte à rester un peu de temps cachée là, elle avait choisi la cabine handicapé plutôt que les autres plus exigues. L’espace était plus grand, un peu plus propre aussi, ce qui malgré la situation n’était pas non plus pour lui déplaire. L’avantage était aussi que la petite pièce était entièrement fermée, personne ne pouvait donc voir qu’elle s’y trouvait cachée, et le petit panneau « hors service » qu’elle avait accroché dehors lui offrait une certaine tranquillité, en tout cas jusqu’à ce qu’on vienne la chercher. Gardant sa baguette dans la main, au cas où , la jeune femme laissa glisser son sac à terre dans un bruit mat et fit un pas vers le lavabo qui se trouvait dans un angle. Se penchant en avant, elle ouvrit le robinet et s’en passa sur le visage, une fois, deux fois. L’eau était froide, piquante, elle lui faisait mal aux yeux, mais à la fois, elle la réveillait aussi un peu. Joignant les mains pour faire comme une petite coupe qu’elle laissa se remplir, elle but de longue gorgées d’eau froide afin d’étancher un peu sa soif et de faire passer le goût du vomi qu’elle avait encore en bouche.
Puis, coupant le jet, elle resta là quelques secondes, immobiles, haletante, la tête baissée et les mains tremblantes posées sur le lavabo presque blanc. Relevant enfin le visage, elle passa sa main dans ses cheveux lâchés pour leur redonner un peu d’ordre et essuya son visage mouillé avec l’une de ses manches. En face d’elle, il y avait un miroir, et dans ce miroir, elle vit son reflet, un reflet bien sombre en vérité. Elle avait les traits tirés, inquiets, les yeux rouges et gonflés. Une sale gueule, ni plus ni moins.

De voir ainsi le reflet de son visage lui en rappela d’autres. Elle les revoyait soudain tous, apparaissant comme des fantômes derrière elle dans le miroir des toilettes de l’aéroport, les visages infâmes et déformés qui lui étaient apparus pendant le cauchemar qu’elle avait fait quelques heures plus tôt. D’y repenser, elle sentait encore son cœur se serrer d’effroi, repensant à toutes ses sensations si vraies qu’elle avait alors ressenties.
Elle se revoyait avec Armand, devant la porte d’une petite maison en pierres roses et aux volets blancs, dans un bonheur immense que l’on ne trouve nulle part ailleurs. Elle se revoyait avec cette petite créature rose et gazouillante tout près là, juste contre son sein, et la chaleur qui émanait de ce petit être était la chose la plus incroyable qu’elle ait eu la chance de voir, de sentir, de ressentir. L’enfant qu’elle tenait dans les bras était son enfant, celui qu’elle n’avait jamais cru connaitre, la meilleure partie d’elle-même. Même à travers le rêve, elle ressentait pour le petit visage angélique un amour unique, bien plus fort que tous les autres amours qu’elle avait pu connaitre, cru connaitre. Et devant cet état de fait, elle était heureuse, elle acceptait ce cadeau comme quelque chose de beau et d’inattendu. Mais alors la vision changeait, les couleurs, les formes, tout se tordait, se déchirait. Des bras à la peau purulente recouverte de croûtes suintantes sortaient d’un nuage de cendres noires, tâtant les ténèbres à la recherche de quelque chose à attraper, et elle courait, elle serrait sa petite créature aimée tout contre elle, mais les mains étaient plus fortes et plus rapides. Elles attrapaient l’enfant et l’attrapaient elle, les séparait l’un de l’autre, dans une douleur plus forte encore que si on vous arrachait un organe, et malgré ses cris, malgré toutes ses ruades pour se dégager et rejoindre son enfant chéri, elle restait là, pathétique prisonnière de ses propre mauvais choix. Ce qu’elle avait vu ensuite, elle ne voulait même pas y penser, c’était trop dur, trop douloureux, trop effrayant. Et pourtant, alors qu’elle regardait là son propre reflet dans le miroir, alors qu’elle plongeait son regard dans son propre regard, tout ce qu’elle voyait c’était la scène infâme qui lui était apparue, d’un monstre antique dévorant la chair rose et tendre, d’un enfant devenu grand la dévorant à son tour, et d’un homme rendu cadavre observant cette vision infernale de ses yeux vides de vie.

Lorsqu’elle s’était réveillé de cette vision cauchemardesque, trempée de sueur dans la chambre qu’ils avaient loué dans un hôtel discret de la Sérénissime, elle n’avait même pas réfléchi une seule seconde. A la lumière ténue de la lune qui en était à son tout premier quartier, Anahia s’était glissée hors du grand lit aux draps fins, y laissant cet homme endormi d’amour et d'ivresse à qui elle jeta un rapide sortilège d'Assurdiato. Sans un bruit, ni même sans un regard pour lui, la jeune femme avait enfilé une robe longue et noire ainsi qu'une veste puis avait rassemblé ses affaires, tous ses vêtements, tous les papiers, toutes les notes et les photographies qui étaient éparpillés sur le secrétaire et qui constituaient la quasi-totalité de ses recherches. Tout ça, elle l’avait mis pèle mêle dans son sac de voyage, sans prendre le temps de ranger. Du temps, elle n’en avait plus, plus une seconde, car dès l’instant où elle sortirait de cette chambre, dès l’instant où elle quitterait la ville des Doges, elle serait poursuivit par une des organisations religieuses les plus dangereuses de la planète.
Au moment de fermer la porte sur elle, son sac sur l’épaule, elle avait eu un instant d’hésitation, un regret. Peut être avait-elle encore un peu de temps finalement, quelques minutes pour lui laisser un mot, une explication. Lui dire qu’il n’était pas vraiment pour quelque chose dans tout ça, lui dire que tout n’avait pas été que de la comédie, lui dire qu’elle l’avait vraiment aimé, mais le visage du cadavre spectateur lui était apparu à nouveau et elle était parti sans rien laisser d’autre que son fantôme dans cette chambre au plafond haut et aux grandes fenêtres bordées de rideaux blancs et légers.
Sortant de l’hôtel Affitacamare, elle avait presque couru le long de la Fondamenta Rossa, passant le ponte Bosso comme une ombre dans l’aube froide. Une sorte de vapeur sinistre sortait des canaux aux eaux encore dormantes. Il n’y avait personne, personne hormis les chats de Venise pour observer sa fuite éperdue. Empruntant la Calle Bianca Capello, puis un autre pont, elle essayait de faire le moins de bruit possible, serrant dans sa main sa baguette, serrant dans sa poche un autre objet. Elle avait atteint la gare routière en une dizaine de minutes à peine, à Venise, rien n’était jamais vraiment loin, surtout lorsqu’on savait se repérer. Afin de brouiller les pistes, elle avait acheté à son nom un billet de train pour la première destination probable qui se présentait, puis elle était montée dans un car en direction de l’aéroport Marco Polo qui se trouvait sur la côte dont elle avait payé le billet en espèces. Une fois à l’aéroport, elle avait à nouveau pris un billet mais cette fois pour Israël sous un faux nom que le prêtre connaissait. Autant jouer une dernière fois son rôle dans cette comédie ridicule. Bien sur, elle n’avait jamais envisagé remettre une seule fois le pied en Terre Sainte, elle savait que c’était là bas qu’on irait la chercher en premier. Alors l’avion était parti sans elle, et elle, elle attendait, cachée dans les toilettes que quelqu’un vienne la chercher, en espérant que les siens la trouveraient avant les autres.


Anahia sentit son visage se tordre dans une grimace et son menton trembler. La moutarde lui montait au nez, et des larmes qu’elle avait jusqu’alors retenues lui piquèrent les yeux. Alors, avec toujours une main sur le lavabo pour se retenir de tomber, une autre main sur le ventre, elle pleura, le dos plaqué contre la faïence froide du mur. Elle pleura de tout son saoul, sanglotant, crachant, elle pleura comme pleure un enfant effrayé. Les adultes ont toujours trop de retenus lorsqu’ils pleurent. Ses larmes coulaient comme s’il devait toujours en avoir, et elle ne pensait plus à rien, seulement au bien que lui offrait cette crise de larmes et d’abandon. Plus que jamais, la jeune femme se sentait seule, livrée à elle-même, elle se sentait fragile, idiote, elle se sentait coupable de tout. Elle s’en voulait de s’être laissé aller dans cette histoire de fou, laissé aller à ce sentiment puérile qui lui avait laissé croire qu’un avenir était possible entre eux deux. Mais l’homme qu’elle avait croisé sur sa route était aussi dérangé qu’elle, et seul du mal pouvait sortir d’une telle aventure.
Mais soudain, elle sentit sa tête lui tourner, son ventre se serrer dans une contraction subite. L’espace d’un instant, c’était comme si elle était à nouveau sur ce maudit Vaporetto. L’envie de vomir fut si soudaine qu’elle eut à peine le temps de se jeter la tête la première sur les toilettes pour rendre de la bile. Il y avait longtemps qu’elle n’avait rien mangé.
Dans un bruit proche de celui du vélociraptor si on en croit l’équipe de bruitage de Steven Spielberg, elle essaya désespérément de vomir pour se soulager, mais seules quelques formes glaireuses vaguement noirâtres sortirent de sa gorge. A genoux sur le sol, le corps parcourus de spasmes, la respiration rauque, elle s’essuya la bouche du revers de la main, actionnant la chasse d’eau d’un geste presque mécanique.
Cela faisait plusieurs jours qu’elle avait des nausées, depuis leur arrivée à Venise en fait. A ce moment là, elle avait associé ça avec sa haine profonde pour les bateaux et pour la mer en général qui depuis toujours la rendaient malade, mais après le cauchemar de la nuit précédente, un doute avait vu le jour dans son esprit. Une idée si saugrenue qu’elle y avait tout de suite cru.
Prenant une profonde respiration, elle posa sa main sur son ventre. Il ne paraissait pas avoir changé pourtant.

« Il faut que je sache… »

Se parlant à elle-même comme pour se donner une contenance, Anahia se tourna et tendit la main vers son sac de voyage duquel elle sortit un test de grossesse qu’elle avait acheté à la pharmacie de l’aéroport quelques minutes plus tôt. Se mordant l’intérieur de la joue, elle ouvrit la petite boite en carton fin et en sortit le bâtonnet en plastique. Puis, tournant la boite jusqu’à trouver les indications, elle les parcourut du regard en lisant à haute voix dans un marmonnement régulier.

« Il 99% affidabile e facile da usare, il test di gravidanza delle urine ti farà sapere se sei incinta o meno. »

Aussi étonnant que ça puisse paraitre pour une femme aussi délurée qu’elle, c’était la première fois qu’elle devait avoir recourt à cet outil qu’elle détestait déjà. Après avoir lu une bonne dizaine de fois le petit texte explicatif, elle se redressa et après avoir soulevé sa robe longue et baissé sa culotte, elle s’assit sur la cuvette froide des toilettes. Peut être que cet acte pourrait en dégoûter certaines, mais dans le cas présent, la sorcière s’en tamponnait pas mal de si ou on non il y avait des germes sous son cul. Après avoir retiré le petit capuchon en plastique, elle glissa le bâtonnet entre ses cuisses et plaça la languette de façon à ce qu’elle soit le plus imbibé d’urine possible. Puis elle ouvrit les vannes, et se rendit compte que ça faisait en réalité pas mal d’heures qu’elle n’avait pas vidée sa vessie. Ce n’était pas plus mal, la boite indiquait que c’était plus efficace si le pipi était bien concentré. Une fois avoir pissé tout ce qu’elle avait à évacuer, la jeune femme tendit le bras et posa le test sur le lavabo devant elle (non sans avoir d’abord remis le petite capuchon en plastique, soyons pas si dégueu). Après s’être essuyé, avoir remonté sa culotte et tiré une nouvelle fois la chasse d’eau, elle se laissa glisser le long du mur et s’assit par terre, reprenant la boite. Le petite texte expliquait qu’il fallait attendre trois minutes pour avoir un « résultat rapide et presque sur ». Reniflant bruyamment, elle prit son téléphone et régla un minuteur sur trois minutes, pas une de plus pas une de moins. C’était d’ailleurs amusant de voir qu’il fallait à son urine autant de temps pour macérer que pour un œuf à la coque de cuire.

Regardant l’heure sur sa montre, elle ne pu s’empêcher de penser à l’endroit où elle se trouvait vingt quatre heures plus tôt. A ce moment là, jamais elle n’aurait pu imaginer qu’elle se retrouverait le lendemain enfermée dans les toilettes publiques d’un aéroport en train de pisser sur un bâtonnet en plastique. Non, vingt quatre heures plus tôt, tout était différent.


***



Peu de temps après leur mariage « improvisé » dans la chapelle Sixtine, le jeune couple avaient quitté Rome en direction du nord de l’Italie avec dans les poches le fameux carnet du Baron Corvo et assez d’argent pour tenir durant toute leur petite escapade et même après. La lecture du carnet qu’elle avait tant cherché lui apprit tout ce qu’elle voulait savoir, enfin presque, et comme désormais ils étaient liés par quelque chose qu’elle ne savait pas encore bien nommer, elle partagea avec lui toutes ses informations, se gardant bien sur de parler de ses réelles intentions concernant le Bareket d’Antioche. Armand s’était lui aussi pris de passion pour cette formidable aventure qu’elle lui proposait, après tout, il n’était pas vraiment homme à pouvoir refuser une chasse à la relique, ni homme à dire non aux yeux suppliants de sa femme.
C’était une énigme un peu étrange qu’ils avaient trouvé sur les pages du carnet qui les avait mis en direction de la Sérénissime : « Le lion grec perd sa peau de serpent septentrional entre les brumes de Venise. »
C’était peut être une fausse piste, après tout, le Baron était connu pour être un excentrique quelque peu dérangé, surtout vers la fin de sa vie, mais d’autres éléments, d’autres notes tels que les mots « San Marco », « Abraxas », « Buono de Malamocco », « San Marzelo », ainsi que « Saud Kalulu », « Fontego degli Arabi » ou encore « R : L : H : G : L : I », tous rangés dans le mystérieux chapitre « Sirat al Bunduqiyyah » avaient fini de les convaincre de prendre la route vers la lagune qui abritait depuis des siècles la cité des Doges.

Depuis que la jeune femme avait dissuadé son nouvel époux de poursuivre ses plans de départ mystique vers d’autres mondes à l’aide de poison pour tout mode de transport, l’un et l’autre avaient repris leur relation presque comme si rien n’était, passant la moitié du temps à se sauter dessus, l’autre à travailler sur leur expédition. Mais n’allez pas croire que la vie au quotidien entre ces deux là était du genre rose et sans accroches, il fallait souvent à la sorcière toute la patience du monde pour ne pas transformer son borné de mari en quelque animal de préférence petit et ridicule. Elle était souvent partagée encore une fascination totale qu’il lui inspirait et une envie presque incontrôlée de lui arracher les yeux et de s'en faire des boucles d'oreilles. Cet état était d'ailleurs arrivé à son summum lorsqu’il avait été question du mode de transport qu’ils emprunteraient afin de se rendre à Venise. La jeune femme, désireuse de profiter de cette escapade pour visiter un peu toutes les merveilles que l’Italie avait à leur offrir avait fini par convaincre son compagnon que la voiture était sans aucun doute le meilleur moyen, pratique et discret, pour se faire la belle ( dans tous les sens du terme). Mais après à peine cents kilomètres, elle préféra rendre le véhicule à la première boutique de location qu’ils croisèrent tant le jeune prêtre était infernal. Ils prirent donc le train, et firent à la demande de la dame quelques arrêts dans les plus belles villes de la Botte pour finalement terminer leur voyage dans l’une des plus belles cités du monde.
Anahia s’était très vite habituée à la vie vénitienne, hormis pour les bateaux qui la rendaient malade. Il y avait dans cette île bâtie un esprit de brumes et de rencontres improbables qui lui parlaient, un mystère omniprésent et une atmosphère comme elle n’en avait encore jamais connue, une belle devinette. Grâce aux cours intensifs de son professeur particulier, elle était à présent capable de tenir une conversation dans un italien plutôt correct, ce qui était ici chose pratique, bien que ses compétences en hébreu et ses quelques connaissances en arabe lui furent plus utiles pour l’enquête dans laquelle ils s’étaient lancés. La jeune voyante avait toujours été douée pour les langues et pour décrypter les langages cachés, et plus que jamais cette particularité était à son avantage, tout comme celui d’avoir choisi comme compagnon un prêtre italien, ce qui leur ouvrait mine de rien beaucoup de portes.

Le 24 avril en fin de matinée, Anahia marchait dans les allées mal organisées de la ville. La journée était belle et l’air particulièrement doux même pour la saison. Après quelques jours à chercher son chemin, elle avait fini par intégrer l’absence de logique dans cet enchevêtrement de canaux, de passages et de ponts. Il lui arrivait encore par moment de déboucher sur une impasse, mais c’était de plus en plus rare et on la voyait la plupart du temps marcher non plus comme une touriste perdue mais du pas assuré des vrais vénitiens. Son visage aux airs de nulle part était ici comme chez lui, et elle aurait presque pu passer inaperçu (particulièrement dans le vieux ghetto) si elle n’avait été plus resplendissante que jamais depuis leur arrivée ici. C’était à ni rien comprendre, où peut être était-ce les reflets vert-bleu de l’eau de la lagune sur sa peau dorée, mais la jeune femme se sentait particulièrement canon, et pour dire la vérité, elle l’était.
Marchant donc d’un pas rapide et déterminé, une longue robe noire au tissu léger volant et s’enroulant autour de ses interminables jambes, Anahia déboucha sur le Campo Santa Margherita, une place d’une taille importante pour la ville et qui était souvent fréquentée par les étudiants bien plus que pas les touristes. La place qui était à deux pas de leur hôtel était entourée de petites maisons basses et colorées, devant lesquelles on trouvait nombre de terrasses de bistrots ou de petites trattorias. C’était là, à la table de l’une d’elles, « chez Alberto », que l’attendait Armand.
Contournant les quelques étales d’un petit maraicher qui présentait ses produits frais, la sorcière repéra de loin la silhouette du jeune homme qui était en train de lire le journal du jour devant un café. Le rejoignant, elle se pencha vers son visage et l’embrassa avant de s’asseoir sur une chaise juste à côté de lui et de retirer le chapeau à bord large qu’elle portait. Le patron, le fameux Alberto, vint immédiatement lui apporter un chocolat fort et épais comme ils en servaient ici et qu’elle aimait beaucoup. Après avoir échangé quelques banalités avec le vieil homme au fort accent vénitien, ce dernier retourna vers son comptoir, et la jeune femme se pencha vers son mari en lui glissant un morceau de papier sur lequel elle avait gribouillé un schéma assez grossier d’un entrelacs runique, ainsi qu’un texte qui en donnait la traduction.


« Je pense que cette fois on touche au but mon amour… » Dit-elle en parlant tout bas en hébreu pour être comprise par le moins de personne possible. «  J’ai réussi à trouver une image de la gravure sur le lion du Pirée dans les archives du musée de la marine de l’arsenal avant qu’elle ne soit totalement détruite. Tu avais raison, c’est surement de ça dont le Baron parlait dans le carnet lorsqu’il évoquait la peau de serpent septentrional… regarde la forme de la gravure… sauf que là , sur le côté droit, le texte est trop court…mais il y avait une deuxième gravure sur l’autre épaule, encore moins bien conservée, mais beaucoup plus longue cette fois… je l’ai envoyé à un ami de l’université d’Oslo, et il m’a renvoyé la traduction pendant que je passais le Rialto pour revenir… tiens lis (voir spoiler en bas de page). » Dit-elle en pointant du doigt le texte écrit à la va-vite en bas du morceau de papier. Pendant que le jeune homme parcourait les quelques lignes, elle regardait la place au travers de ses grandes lunettes de soleil, observant chacun des passants comme s’ils pouvaient être un danger potentiel. Se rapprocher ainsi du but après ces efforts et tous ces mois de recherche la mettait dans un état d’excitation assez inédit pour elle, ce qui la rendait également d’autant plus méfiante. « C’est presque trop beau tu ne trouves pas ? Mais à la fois, ça concorde avec les gravures qu’on a trouvé sur le côté de la chaire de St Pierre à San Marcilian qui parlait de la maison de Hamir Ben R’yobah dit « le chameau », qui se trouve au fontego degli arabi, à deux pas du canal dell’Orto où Saud Kalula, le dernier possesseur de la Pierre s’est noyé juste après l’avoir caché… je sais ce que tu vas dire…mais je pense qu’on devrait aller y jeter un œil dès ce soir. »

Le couple s’était ensuite lancé dans un nouveau long débat dont ils étaient devenus spécialistes. Le prêtre était plus mesuré, voulant explorer d’autres pistes qui s’offraient à eux, mais la jeune femme n’en pouvait plus d’attendre encore et encore. Elle avait besoin de savoir, et les indices conduisant à la maison de Hamir Ben R’yobah étaient les plus évidents et surtout les plus nombreux. Bien sur, plus de milles ans s’étaient passés depuis que la Pierre avait été supposément cachée quelque part dans ce quartier à la sortie du vieux ghetto par Saud Khalula, un capitaine arabe envoyé par les fidèles de l’Abraxas pour récupérer le Bareket que l’apôtre Simon avait gagné à Antioche des mains d’un autre Simon, le magicien. Mais après tout, rien ne disait qu’il n’y était toujours pas.
Après avoir passé l’après midi dans leur chambre l’hôtel à revoir encore une fois tous les documents qu’ils avaient collecté, mais aussi des cartes anciennes, des registres, ils se rendirent compte que le palais en question avait longtemps appartenu à un ordre de chevaliers teutoniques avant de passer sous la garde d’une loge R : L : Hermes de la G : L : d’Italie. Cette découverte ne les ravit pas : la présence si proche de maçons ne pouvait vouloir dire qu’une chose : soit ils avaient trouvé la Pierre depuis belle lurette (mais cette hypothèse avait vite été écartée), soit ils en étaient les gardiens (et à ce moment là essayer de la récupérer causerait bien des dommages). Anahia se garda bien de dire à son mari qu’il existait une loge cousine Mohawks (si si je vous assure) dans le Massachusetts, car après tout, lui-même ne savait encore rien des véritables origines de la femme qu’il venait d’épouser en grande hâte. La dernière hypothèse, et ce fut celle que la jeune femme décida de retenir, était celle selon laquelle la présence de la loge maçonnique dans la maison qui cachait probablement le Bareket n’était rien d’autre qu’une incroyable coïncidence, après tout, Venise était grande comme un mouchoir de poche et on croisait des organisations secrètes à tous les coins de canal.

A la nuit tombée, les deux jeunes gens étaient donc comme à leur habitude, allés manger dans un petit restaurant qui faisait les meilleures pâtes à l’encre de seiche de la ville, avant de déguster un petit verre de limoncelo pour faciliter la digestion. Mais au lieu de retourner vers leur hôtel, ils prirent la direction du nord de la ville, traversant le grand Canal. Il y avait du monde comme toujours dans la Sérénissime, mais heureusement pour eux il suffisait de sortir des artères principales pour éviter le flot grouillant des touristes qui se rendaient piazza San Marco ou dans les innombrables boutiques de souvenirs. Comme des ombres, Armand et Anahia traversèrent la ville, main dans la main comme deux simples amoureux en balade, profitant de la douceur de soir pour admirer les merveilles architecturales de la cité. Il y avait toujours quelque chose à voir dans cette ville, toujours quelque chose de secret et de caché à découvrir. Dans la pénombre du soir, les couleurs pourtant vives des bâtisses disparaissaient au profit des lumières qui sortaient des fenêtres ouvragés, offrant au passant attentif des tableaux superbes d’ombres chinoises aux voûtes florales et anciennes. Sur les toits on pouvait apercevoir les terrasses en bois que les vénitiens installaient pour prendre le soleil sans avoir à se mêler à la masse grouillante des envahisseurs étrangers. Ils donnaient l’impression d’être toujours sur le point de s’effondrer, ces formidables échafaudages, pourtant ils restaient là, se détachant du noir de la nuit dès que la lune turque passait derrière.
Enfin, après quelques dizaines de minutes de marche, le couple arriva enfin devant la façade grise et ouvragée du palazzo di Hamir Ben R’yobat. Sur la droite, au niveau du premier étage, on pouvait voir un petit bas relief à peine visible dans la lumière du canal. On y voyait un chameau portant des sacs, ainsi qu’un homme devant lui qui tenait quelque chose à la main. Les deux amants échangèrent un regard, et se remirent en marche, passant un pont qui les séparait de la Campo Dei Mori dans lequel ils avaient pu repérer l’entrée d’une cour qui appartenait au palais en étudiant le cadastre de la ville. Arrivés devant le numéro 3381, ils firent face à une porte en fer forgé qui donnait sur une petite cour. Au fond de la cour, près d’un vieux puits gris et terne, il y avait un escalier qui montait vers la maison et qui longeait un mur recouvert par une vigne épaisse et ancienne. C’était juste là, depuis des centaines d’années c’était là, à la vue et à la portée de tous. Quelle meilleure cachette en somme.
Armés de leurs baguettes, éclairés seulement par le mince quartier de lune, Armand et Anahia avaient pénétré dans la cour. Tout était calme, silencieux, à part les tumultes de la ville qu’on entendait plus loin. Les lumières du palais étaient éteintes, il ne semblait y avoir personne séance tenante, ce qui leur donna un courage nouveau, une envie d’y croire, un goût de victoire avant même d’avoir passé la ligne d’arrivée.
Ils avaient traversé la cour, passant devant le vieux puits et s’approchant de cet « escalier des rencontres ». La gravure du lion du Pirée leur parlait de cet escalier, mais pas de là où était réellement cachée la Pierre. Alors ils avaient cherché, scrutant la moindre marche, le moindre renfoncement à la recherche d’un signe, jusqu’à ce qu’enfin, derrière le mur de feuilles et de branches de vigne qui grimpait le long de l’escalier, ils ne découvrent une dalle sur laquelle avait été gravé, des siècles plus tôt, le sceau de Salomon.
Fébriles, ils avaient essayé de décoller la dalle qui était venue bien rapidement. Ce constat les glaça. Si la dalle n’était pas scellée, c’était que quelqu’un était sans doute déjà venu avant eux. Ce qu’ils trouvèrent dans la petite cavité derrière la dalle ne fit que confirmer ce qu’ils craignaient déjà. Nulle Pierre il y avait, nulle Bareket de Satan, nulle émeraude magique…seulement une lettre.


***


Le réveil du téléphone portable sonna, sortant Anahia de son songe éveillé. D’un geste absent, elle coupa la sonnerie et rangea dans la poche de sa veste un objet rond aux reflets de vert et d’or.
Le moment était venu, elle devait savoir.
Tendant la main, elle se saisit du test qui était resté sur le lavabo. Fermant les yeux, elle le plaça devant elle et attendit. Elle avait peur, peur comme jamais elle avait eu peur. Peut-on mourir d’une telle peur ? A cet instant, elle était prête à jurer qu’elle était déjà morte et que c’était son fantôme qui se trouvait dans les toilettes de l’aéroport Marco Polo.
Mais un fantôme n’a pas mal, et Anahia avait mal, mal partout, mal au ventre, mal à la tête, mal au cœur et mal à l'âme.
Alors pour savoir et ne pas mourir là bêtement de peur, la jeune femme prit une profonde respiration…et ouvrit les yeux.


Positif


A cet instant précis, quelqu’un frappa trois coups secs à la porte.




Traduction de la gravure du Lion du Pirée de l’arsenal de Venise:




Dernière édition par Anahia Tal'ahjon le 06.06.18 12:03, édité 3 fois
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Armand R Altaïr
Armand R Altaïr

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MessageSujet: Re: Voir Venise...et mourir - ft Armand   Voir Venise...et mourir - ft Armand Empty09.03.18 13:18


   

Voir Venise et mourir




Se réveiller chaque matin aux côtés d'Anahia était un bonheur indescriptible. Et en vérité à vingt cinq ans à peine Armand estimait avec sincérité qu'il n'avait jamais été aussi heureux de sa vie. C'était comme si le jour et la nuit ne se succédaient que pour les rapprocher davantage, et à chaque heure qu'ils passaient ensemble, ce lien mystérieux qui s'était crée en terre sainte se resserrait un peu plus. Bien sur parfois ils entraient en conflit, tout simplement parce qu'ils avaient deux forts caractères, et que bien souvent Armand avait tendance à vouloir que tout tourne selon son caprice. Mais ce n'était pas bien méchant, et s'il s'isolait pour bouder c'était probablement un peu pour le plaisir de se réconcilier.

Depuis qu'ils avaient échangés leurs vœux d'amour sous les fresques fantomatiques du plus bel écrin de la cité éternelle, Armand s'était retrouvé plongé dans un état de bonheur insolant et sincère. Anahia avait cette façon bien à elle de le surprendre constamment, et sa curiosité légendaire avait été immédiatement appâtée par la fantastique énigme qu'elle lui présenta. La Clave de Salomon était certainement l'un des trésors au sujet duquel il pensait ne jamais entendre la moindre hypothèse sérieuse. Et pourtant, plus elle lui dévoilait les rouages minutieux de son enquête, plus il se mettait lui aussi à croire. Sa passion pour cette relique l'avait immédiatement intrigué, quelle femme tout de même. Son intelligence et son audace était extrêmement séduisantes. Elle avait ce grain de folie contagieux qui l’envoûtait complètement, et il buvait ses paroles avec une dévotion démesurée. Parler de la pierre et des mystères qui l'entouraient était devenu une de leurs occupations principales, quand ils n'étaient pas occupés à une activité bien plus commune chez deux jeunes mariés. Débattre avec elle était étonnamment agréable. Il ne passait plus son temps à lui expliquer des choses, comme ce qu'il avait cru bon de faire au début de leur relation. Anahia était très loin d'être stupide, et dès qu'il eut prit conscience de la vivacité de son esprit, il retomba amoureux une seconde fois.

C'était infiniment bon de trouver une personne capable d'échanger avec soi, de construire des mécanismes de pensée complémentaires aux siens, de s'élever ensemble vers des idées brillantes et fécondes. Depuis toujours Armand s'était sentit très seul intellectuellement, et dès qu'il en eut l'occasion il rechercha la compagnie d'amis qui eut aussi plaçaient le génie de la réflexion au centre de l'univers. Il y avait eut tout d'abord les Sphinx qui s'amusaient à inventer des énigmes et à se tendre mutuellement des pièges pour affûter leurs esprits. Puis la théologie, qui lui semblait être la discipline de l'élévation, celle qui pouvait permettre à son intelligence de créer de grandes choses. Cette intuition avait été la bonne, car les études lui avaient données un cadre dans lequel s'épanouir et peu de temps après il avait été remarqué par une loge Rose Croix. Leur assemblée allait bien entendu au delà du groupe de recherche, c'était un monde dans un monde, régit par des lois propres et dissimulées sous des flous nébuleux.

Et pourtant ce n'était que depuis qu'il parlait vraiment avec Anahia qu'il avait enfin l'impression d'avoir trouvé son alter ego intellectuel. Il y avait une relation vertueuse entre leurs deux esprits, créant des échanges uniques et grandioses. La pierre existait probablement quelque part, et il avait la certitude qu'ensemble ils étaient capables de la trouver. Bien entendu la quête était dangereuse, et Armand s'inquiétait qu'ils puissent se retrouver sur le chemin d'une loge ennemis ou d'autres sorciers à la recherche de cet artefact légendaire. La Clave appartenait historiquement au Temple, et il l'avait toujours cru jusqu'à ce qu'Anahia évoque le personnage du Baron, un Rose Croix excentrique comme il en existe beaucoup, mais qui lui se targuait d'avoir des informations sur la pierre. Piqué au vif par cette nouvelle, il s'était mis à écumer les archives pontificales et les collections de la loge à la recherche de la moindre évocation du dit Baron. Bien entendu Armand ignorait que c'était dans ce seul et unique but que sa jeune et délicieuse épouse ne l'avait pas cruellement étouffé avec un oreiller durant cette nuit qu'ils avaient partagée à Jérusalem. Entrer aux archives était extrêmement difficile, et cela Armand le savait bien. Après tout il avait durement étudié pendant de longues années dans ce simple but, et bien entendu c'était l'Ordre qui lui avait finalement donné ce passe droit tant convoité par tout les chercheurs du monde.

Elle avait besoin de lui pour réunir les documents, c'était indéniable. Et même si au début l'idée de jouer la comédie à un homme aussi dangereux et prétentieux lui semblait aussi terrifiante qu’écœurante, elle fini par se laisser prendre au jeu. Il faut dire qu'il était absolument adorable, gentil et prévenant. Bien sur il avait cette façon un peu complaisante de s'adresser à elle, mais cela changea dès lors qu'ils se mirent à la recherche de la relique. Et en vérité pendant ces quelques mois de relation Armand parla à une femme bien plus souvent qu'il ne l'avait fait dans toute sa triste vie.

Il adressa une lettre à son oncle depuis Florence, où il l'avertissait de son départ et s'excusait le plus platement possible en mettant en avant le fait qu'il avait un plan, un plan incroyable. Il ne lui parlait pas directement de la pierre, mais il sous entendait lourdement qu'il était sur la piste d'une énigme remarquable, et que si cela fonctionnait comme escompté, leur loge détiendrait un grand succès. Bien entendu en lisait ces pauvres justifications, le cardinal entra dans une violente colère. Il avait accordé son entière confiance à ce gamin taciturne, et voilà l'insolence dont il était capable. Il s'était tout simplement sauvé, au bras de cette maîtresse exotique qui le divertissait depuis quelques mois, le détournant complètement de son étude. Jusqu'ici il avait été très patient et très compréhensif avec lui, mais il regrettait sa faiblesse. Dès le début il aurait du se montrer plus ferme, renvoyer la fille chez sa mère en Judée, et le mettre à travailler jusqu'à ce que l'envie de pleurnicher finisse par lui passer. Armand était fait pour les études, même s'il ne lui disait jamais il le trouvait brillant, et il avait parié beaucoup sur son poulain. Voilà qu'il relâchait un peu la bride, estimant que maintenant son doctorat en poche il allait se montrer un peu plus adulte. Bien sur que non, ça aurait été trop beau. Au lieu de le remercier de l'avoir tant poussé à la rencontre du succès, il se montrait insolent et fugueur, lâche au point de disparaître dans la nuit et de lui envoyer une misérable lettre d'excuse depuis l'autre bout de l'Italie. Le cardial Votelli, qui était certainement l'homme le plus rancunier du monde, se rappelait parfaitement le coup fumant que lui avait fait son impertinent disciple à Jérusalem. Là encore il avait disparu, le plongeant dans une inquiétude totale. La ville était dangereuse, et il l'avait cru enlevé par une loge rivale. Tout ça pour le retrouver le pantalon sur les genoux à se corrompre avec une putain juive. Il aurait presque souhaité le savoir séquestré par le Temple plutôt que de subir une honte pareil. Enfermé dans son bureau, Votelli fulminait. Il le savait à Florence quelques jours plus tôt, mais par orgueil il refusait de se lancer à sa poursuite. Quelques jours plus tard il lui envoya un simple mail.



Raphaël,
Rien ne t'oblige à revenir à Rome.
Tu peux aller où bon te semblera.
Va au Diable si c'est ça que tu souhaites.

Assis à la terrasse d'un café de Venise, Armand avait découvert ce message terrifiant qui lui avait immédiatement donné envie de quitter la ville et de retourner à Rome demander pardon. Et pourtant il ne pouvait pas faire ça, il était trop tard pour reculer maintenant. Ils étaient si proches de la pierre, et il était évident que s'il se présentait devant son oncle avec un tel artefact dans sa possession, il lui pardonnerait aussitôt son insolence. Même s'il était en colère il saurait se montrer magnanime. Certes il s'était sauvé, et il regrettait sa lâcheté, mais il savait bien qu'on ne l'aurait pas laissé partir comme ça. Et la Clave légendaire était là, juste à leur portée. Les textes en parlaient à demi mot, il les avait tant lu et relu qu'il en était désormais certain.

Anahia apparue dans sa longue robe noire, et immédiatement il sentit son angoisse s'envoler. Elle s'assit à la terrasse à côté de lui et il lui prit tendrement la main. Plus que jamais il avait besoin de réconfort et heureusement les nouvelles qu'elle avait le soulagèrent. Il prit le papier qu'elle lui glissa dans la main et lu la traduction de l'inscription. Les mots qu'elle lui murmurait en hébreux achevèrent de chasser ses craintes, et en même temps en construisaient de nouvelles.


« C'est vrai que cela semble trop évident, et rien dans l'hermétisme n'est jamais évident mon amour... »

Il doutait, se sentant d'un coup complètement épuisé, cette piste était ridicule. Et son oncle allait le tuer pour de bon. Le sorcier soupira.

« Après tout ça ne coûte rien d'essayer... »

Se rangeant à l'avis de sa femme, il tenta tout de même de la convaincre d'explorer d'autres pistes, voir de repartir de zéro concernant celle ci. Il ne croyait pas aux évidences, ni aux coïncidences. Il leur fallait tout reprendre. Un hypothèse franchement déprimante, mais pour le coup il se sentait véritablement déprimé. Il ne lui parla pas de la lettre qu'il avait secrètement envoyée de Florence, déjà car sa lâcheté le dégoûtait, et puis par qu'il lui faudrait évoquer la déception qu'il avait infligé à son oncle, et sans doute la punition qui irait avec. Ce n'était pas utile de l'inquiéter, et puis même s'il acceptait d'être puni comme il le méritait, il ne laisserait jamais personne s'en prendre à elle.

Marcher à ses côtés sous les façades imposantes des palais était merveilleux. Elle avait glissé sa main dans la sienne et il pouvait sentir son alliance pâle et tiède entourer son doigt. Lui même portait la sienne, côte à côté avec sa chevalière d'argent. C'était la première chose qu'il avait fait en quittant Rome, retirer l'anneau de la chaîne qu'il portait au cou et le glisser à son annulaire. C'était étrange comme sensation, pas très agréable car le métal onirique s'entrechoquait à la chevalière quand il serrait le poing, mais ça pour le coup il ne pouvait pas l'enlever. Il avait aussi changé ses chemises et portait un bon pull qui l'isolait confortablement de l'humidité des canaux. C'était très agréable d'être un homme normal en compagnie de sa femme, et la façon extrêmement naturelle que les gens avaient de croire à leur histoire lui faisait chaud au cœur. Il n'y avait aucun mensonge là dedans après tout, ils s'étaient mariés, d'une façon bien peu conventionnelle soit, mais leur échange de vœux avait été sincère. Il n'y avait aucun mal à cela, et il espérait que ce bonheur dure toujours, ailleurs sur les rives ensoleillées de Galaab la magnifique.

Anahia le conduisit à une cour, et immédiatement il sentit les battements de son cœur s'emporter. Tenant toujours sa main dans la sienne, il s'attarda à détailler le puits, essayant de jauger sa profondeur. Ce qui était ridicule, et il s'en détourna bien vite. Il faisait sombre et il ne voyait rien dans ce tunnel noir qui ouvrait la terre.
Ils observèrent l'escalier, cherchant le moindre indice dans sa structure. Armand était fébrile, et en même temps il n'y croyait pas. Les échelles et les escaliers étaient des symboles maçonniques forts, c'était une erreur de s'attarder sur les pierres de cette façon. Et pourtant elle y arriva, inspectant sous la vigne, Anahia trouva le sceau de Salomon gravé sur une dalle. Une grande excitation s'empara d'eux, avant de retomber d'un coup. La pierre était descellée, mauvais signe. Et derrière rien d'autre qu'une lettre. Étrangement cela raviva sa curiosité, et même s'il avait très envie de la lire, il la tendit à Anahia et l'éclaira de sa baguette.
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Anahia Tal'ahjon
Anahia Tal'ahjon

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ϟ Métier : Professeur de divination à l'école de Magie d'Ilvermorny ϟ Âge : 38 ans ϟ Race et sang : sorcière Mohawks ϟ Particularité : voyance ϟ Statut civil : Mère célibataire

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MessageSujet: Re: Voir Venise...et mourir - ft Armand   Voir Venise...et mourir - ft Armand Empty17.03.18 17:05


Voir Venise...et mourir
Sirat al Bunduqyyiah



Musique:

Tremblante comme autant de feuilles mortes, Anahia resta quelques secondes interdite, figée dans l’angoisse de découvrir ce qui venait de toquer trois coups secs à la porte des toilettes de l’aéroport Marco Polo. Etait-ce un des passants en partance pour quelques destinations inconnues, pressé par le temps, ou bien encore une femme de ménage ? Mais elle avait ensorcelé la porte pour ne pas être dérangée par des importuns. Etait-ce alors ceux qui en avaient désormais après elle ? Ca non plus, ce n’était pas possible, jamais ils n’auraient pris la peine de toquer à la porte. Même si elle ne doutait pas de leur possible courtoisie, elle savait surtout que dès l’instant qu’elle avait franchit la porte de la chambre abandonnant son époux à un sort pire que la mort -mais y a-t-il quelque chose de vraiment pire que la mort ?- elle avait engagé une grandiose et fantastique casse à l’homme dont elle était la principale proie. Non, si vraiment ses poursuivants était de l’autre côté du battant en contre plaqué laqué, il y avait tout à parier qu’ils auraient déjà fait voler la porte en éclat.
Alors si ce n’était ni une femme de ménage, probablement sous-payé et les yeux fatigués, ni les R+C en mal dans découdre avec cette petite putain juive comme ils la surnommeraient probablement sous peu, alors, ça ne pouvait être qu’une chose.
Le cœur au bord des lèvres, à deux doigts de repartir vomir sa bile la tête la première dans la cuvette des chiottes, la jeune femme prit une profonde inspiration. Levant le bras, elle saisit le bord du lavabo, et rassemblant toutes les dernières forces qui lui restait, elle se issa sur ses jambes flageolantes. Elle était épuisée, terrifiée, et pourtant, elle était étonnée de voir qu’à cet instant, la seule chose dont elle se souciait vraiment c’était cette petite chose qui grandissait dans son ventre dont elle ignorait la présence encore quelques heures plus tôt et qu’il fallait protéger, cacher au plus vite, comme le plus secret et le plus dangereux des trésor.

Elle ferma les yeux, une demie seconde, cherchant en elle le courage de poursuivre. Elle avait tellement eu envie de tout abandonner, mais ce n’était plus possible, ça ne serait plus jamais possible. Serrant ses doigts fins sur sa baguette, elle se cala contre le mur en carrelage froid afin de ne pas s’effondrer, et posa une main protectrice sur son ventre.
Alors la porte des toilettes s’ouvrit, mais contrairement à ce qu’on aura pu croire ou imaginer, ce ne fut pas le reste de la pièce, avec ses autres cabines, ses lavabos et ses néons à la lumière blafarde qu’on pu apercevoir par l’entrebâillement. Non, désormais, la porte ouvrait sur un corridor obscur dont il était impossible de voir la fin. Le couloir allait droit, immuablement vers une destination inconnue, comme s’enfonçant sans fin dans les méandres du néant.
Une silhouette se tenait face à elle. C’était une femme plutôt grande, dont les longs cheveux blonds coulaient sur les épaules comme une cascade de miel. Les traits de son visage étaient lisses, dénués de la moindre expression hormis un léger sourire au coin de ses lèvres, ses yeux étaient bleus et sans âges. Une grande et longue tunique noire coulait le long de son corps, en dissimulant ses courbes graciles. Le tissu aux couleurs de l’abysse bougeait, comme animé par une brise sortant de nulle part, donnant à la femme un air surnaturel.
Immédiatement, à l’instant où les regards des deux femmes se croisèrent, immédiatement Anahia la reconnut, et elle sentit son cœur faire un bond de joie et de soulagement dans sa poitrine. Elle murmura un nom, le nom vrai de cette femme qui alors lui sourit vraiment, et la future mère fut apaisée soudainement par cette présence connue et rassurante. On était venu la chercher, on était venu à son secours, alors qu’elle en avait besoin aujourd’hui plus que jamais, et le fait de se sentir moins seule face à l’adversité oppressante de ses aventures lui apportait une vague de chaleur et de consolation comme elle n’en avait jamais connu.
Reconnaissante, épuisée, tremblante comme une enfant qui retrouve ses parents après les avoir longuement cherché, la jeune femme s’avança et tomba dans les bras que lui tendait la femme blonde au nom secret. Elle la serra alors contre elle comme une mère serre sa fille, bien qu’on eu dit qu’elles étaient du même âge, et une fois encore, la sorcière s’abandonna, pleurant à gros sanglots l’épouvante qui lui tordait les entrailles. La femme lui murmura des paroles apaisantes à l’oreille, la berçant dans ses bras accueillants, lui caressant les cheveux d’un geste doux et tendre.
Elles restèrent là sans rien dire pendant ce qui pu sembler être un long moment. Mais le temps passait, et du temps, elles n’en avaient plus. Alors, sans écarter la jeune femme de son étreinte, la femme aux yeux sans âge lui parla, et sa voix était comme l’eau d’une cascade, à la fois belle et froide.


« Est-ce que tu l’as ? Anahia... est ce que tu as la Pierre ? »

***

Le cœur battant et la déception au ventre, Anahia regardait la lettre au papier jauni que lui tendait Armand avec un œil noir. Il n’y avait rien dans la petite cavité qu’ils avaient trouvé le long de l’escalier des rencontres dans la petite Cour de la maison du Fontego degli Arab, ou tout du moins rien d’autre que cette maudite lettre qu’elle avait envie de jeter au fond du puits. Elle resta quelques secondes sans rien faire ni rien dire, trop déçue de ne pas avoir trouvé comme elle l’espérait le Bareket de Salomon de l’autre côté de son sceau.
Elle avait placé tant d’espoir dans cette hypothèse, elle y avait tellement cru qu’elle n’avait même plus envie d’ouvrir l’enveloppe. Heureusement pour elle, la pénombre dissimulait son air déconfit, et même la faible lumière que rependait la baguette magique du prêtre ne lui permettait de voir à quel point sa femme était désenchantée.
Malgré sa frustration, la jeune femme se décida à ouvrir la foutue lettre, qui était peut être après tout un nouvel indice dans leur recherche. Le papier, légèrement humide, semblait être resté dans cette petite cachette sombre et froide pendant pas mal d’années. La tournant dans sa main, elle se rendit compte qu’il y avait un nom tracé sur le recto, un nom tracé à la main d’une écriture fine et penchée qu’elle avait déjà vu et qu’elle ne cessait même de revoir depuis des mois. C’était celle du Baron Corvo.
La lettre, encore scellée, était adressée, comme toutes les autres lettres qu’elle avait réussies à collecteur depuis le début de cette histoire, au fils de Gibraltar.
Fébrile mais déterminée, la sorcière mis sa baguette entre ses dents afin d’ouvrir l’enveloppe et d’en sortir de contenu. Après avoir déplié une page de ce qui ressemblait beaucoup au format des pages du journal du Baron, elle reprit sa baguette et leva le texte au niveau de ses yeux afin de pouvoir le lire, chose qu’elle fit dans un murmure, pour que seul Armand qui se trouvait juste à côté d’elle puisse entendre.


« Cher ami, le 1er avril 1912, j’ai eu la même déception que toi. J’ai déchiffré, comme toi, les signes arabo-runiques qui me conduisirent au sceau de Salomon. L’émeraude n’était plus là, quelqu’un était arrivé avant nous. Mais qui ? Ou alors c’est Saud Kalula qui s’est moqué de nous ? Qui peut le savoir ? Quant à moi, il ne me reste plus que la possibilité de poursuivre cette farce mystérieuse. Offrir aux autres la même quête.
Toi, Co :!0, tu es une des personnes les plus indiquées pour être prise au jeu. Toi l’éternel fainéant, l’ingénu Don Quichotte de quatre sous, le séducteur frustrant et frustré, le parasite romantique, peut être même sentimental, toi tu auras accepté immédiatement mon invitation à la recherche de cette émeraude fabuleuse. Quand tu liras cette lettre, je ne serai plus, mais je suis convaincu que la Clavicule de Salomon se trouve toujours à Venise. Les chevaliers teutoniques peut être… peut être… Je te hais, je t’aime, je t’envie et je te salue. Ton Baron Corvo.
»

Incapable d’en comprendre tout à fait les mots, Anahia relu une nouvelle fois pour elle ces quelques phrases écrites plus d’un siècle plus tôt. Il devait bien y avoir une formule cachée, une nouvelle piste que leur laissait le Baron, sans quoi tout cela n’était d’une douce et fantastique farce. Mais la farce était bien là, indiquée par la date à laquelle ces mots avaient été adressés au Fils de Gibraltar. Le cœur lourd et triste, la jeune femme replia le papier et le glissa à nouveau dans l’enveloppe qu’elle mit dans son sac. Peut être y avait-il bien un sens caché, peut être fallait-il passer le papier dans une solution spéciale, peut être fallait-il le soumettre un à sortilège spécifique, peut être fallait-il attendre la date précise de son écriture pour voir apparaitre en lettres de Lune un nouveau texte expliquant cette odieuse supercherie. Mais toutes ces possibilités semblaient bien compliquées à la jeune femme qui avait un instant cru dans la possibilité de trouver enfin de fruit de ses longues recherches. Croisant le regard d’Armand, elle y lu à la fois un « je te l’avais bien dit », et à la fois, une déception au moins aussi grande que la sienne. Elle savait que comme elle, le jeune homme s’était prit de passion pour cette chasse à la Relique, et que comme elle il espérait bientôt mettre la main sur cet artefact légendaire.
Ne voulant pas entendre les mots de réconfort qu’il avait à dire, la sorcière s’éloigna de lui et alla s’asseoir sur un petit banc de pierre qui se trouvait en face de l’escalier fou, prenant quelques minutes sa tête dans ses mains. Elle avait envie de dormir, longtemps.
Un bruissement de tissu lui fit comprendre que son mari venait de s’asseoir à côté d’elle, et elle sentit dans sa main la chaleur de la sienne. Ils se tinrent là encore un temps, sans qu’aucun n’arriva à prononcer le moindre mot. Et peut être était-ce mieux ainsi. Anahia laissait couler son regard, passant de pierres en pierres, de brin d’herbe aux magnifiques roses rouges Boccolo qui poussaient dans les jardinières de la petite cour silencieuse. Alors qu’elle détaillait le puits gris qui se trouvait à droite de l’escalier, elle eu une impression étrange, comme si le puits la regardait, l’observait en retour. C’était une sensation étrange, si bien que dans sa tête, elle ne pu s’empêcher de penser.

* Et toi, qu’est ce que tu veux ? *
Mais aussi étrange que ça puisse paraitre, quoi que les choses étranges le sont toujours beaucoup moins dans ses villes comme Venise, le puits lui répondit. Elle entendit en retour à sa question, une voix granuleuse et tremblante, à mi-chemin entre celle d’un jeune garçon et d’un vieillard, résonner dans son esprit.
*Et bien quoi, qu’est ce que je veux ? Quelle question ! … Tu ne devrais pas rester là si triste…*
Bien que choquée par l’apparition de cette nouvelle voix parmi les autres innombrables qui lui parlaient sans cesse, elle répondit automatiquement, sans vraiment savoir si c’était le puits qui lui parlait ou une autre créature.
*Je ne suis pas triste, je suis un peu pensive c’est tout. Et toi…qui es-tu ?*
*"Je suis Arlekin Batocio, soldat à Kandia et Masque Vénitien.*Répondit la voix d’enfant-vieillard
*Arlekin soldat à Kandia ? Mais tu as plutôt l’air d’un puits… et même pas très beau, tu es tout gris.*
*Je ne suis pas gris regarde !* Et sans qu’elle puisse dire comment, elle eu l’impression qu’une image mentale, comme un calque, venait se superposer au tableau réel qu’elle avait sous les yeux. Le petit puits en pierre grise sur lequel était sculptée une étoile de David presque totalement effacée devint soudain multicolore comme ces magnifiques tenues de carnaval qu’on trouvait ici. Les triangles de couleur tournaient comme une lampe, projetant autour d’eux des lumières magnifiques et enchanteresses.
*… Regarde toutes ces couleurs ! Comment tu me trouves ? Dis-moi la vérité…*
*Mais oui…oui…ce n’est pas mal…mais tu n’as pas le droit de te faire passer pour un vénitien. Après tout, tu n’es qu’un masque bâtard dont on ne connait pas très bien l’origine…* Et le silence ce fut. Un long silence.
*Allez ! Te fâche pas ! Je voulais seulement plaisanter…* Du silence encore. Il était temps de reprendre le cours de la réalité…

Se tournant vers le jeune homme qui se trouvait tout proche d’elle et qui ne semblait avoir rien remarqué de sa conversation avec l'étrange petit puits gris puis plein de couleurs, Anahia s’avança et déposa un baiser sur sa joue d’un geste tendre, puis elle se leva, lui tendant la main pour qu’il la suive.

« Viens, rentrons… »

Sa voix était calme, et elle souriait doucement. Tout au fond d’elle, malgré cette déception terrible de voir l’aboutissement de leur quête être encore reposée, elle ne perdait pas espoir, car elle savait qu’ensemble ils arriveraient un jour à être digne de découvrir la Magie qui était encore là, cachée entre les allées secrètes de la Sérénissime.
Après avoir refermée la cache, ils quittèrent la petite cour qu’ils laissèrent comme ils l’avaient trouvé. Armand et Anahia reprirent alors leur chemin, marchant main dans la main comme le jeune couple amoureux qu’ils étaient. Ils se s’étaient pas mis d’accord, mais leurs pas ne prirent pas immédiatement le retour vers leur quartier, préférant rester de ce côté ci du Grand Canal. Peut être qu’aucun d’eux n’avait vraiment envie de rentrer non plus. Ils marchèrent donc un long moment, le son de leur pas résonnant sur les pavés des allées. L’eau des canaux qu’ils longeaient était noire, et pourtant, à la lumière de certains réverbères, elle produisait quelques reflets bleus-verts comme on en trouvait qu’ici. Il était désormais minuit passé, et le 25 avril, jour de la Saint Marc, patron de Venise, débutait. La plupart des fenêtres ne produisaient plus de lumière, les habitants et les touristes préférant dormir plutôt que de profiter de la douceur délicieuse de l’air de la ville. D’immenses ombres s’étiraient sur les palais dont les couleurs disparaissaient dans l’obscurité régnante. Sous un pont, une gondole noire tanguait au rythme du clapotis régulier des courants marins qui venaient mourir dans la lagune. Il n’y avait pas de vent non plus pour venir faire danser les quelques arbres qu’ils croisaient. C’était comme si le temps s’était stoppé, comme si le passage dans la petite cour avait tout arrêté, comme s’ils étaient seuls au monde.
Sans s’en rendre compte, ils arrivèrent soudain sur la plus belle des places de la ville, pour ne pas dire la plus belle place du monde. La piazza San Marco. Immense pour une ville si petite juchée sur des bancs de sable instables. La place s’étendait, magnifique et grandiose comme une putain royale sur un édredon de la plus belle soie. Ici, les lumières n’étaient jamais éteintes, et brillaient d’un air ancien à chaque fenêtre des longs bâtiments qui encadraient l’esplanade vide. Face à eux se dressait le campanile, flèche immense pointée vers le ciel noir de la nuit, et à ses pieds la Basilique San Marco, joyaux s’il en est de la ville des Doges. Anahia l’avait aimé d'amour dès qu’elle l’avait découverte pour la première fois, et elle en avait toujours le souffle coupé à chaque fois qu’elle la retrouvait tant elle était belle et étrange, à mi-chemin entre les cultures chrétiennes et l’influence architecturale byzantine. La façade était tout en arches et en voutes basses et rondes, couvertes de sculptures précises et minutieuse qui accompagnaient les mosaïques des frontons représentant différents moments de la vie du saint auquel l’édifice était dédié. Saint qui avait sans le savoir eu un rôle déterminant dans leur propre histoire puisque c’était avec lui, dans le coffre de bois que l’émeraude magique était arrivée à Venise. Laissant son regard glisser vers le lion d’or, symbole de la cité, elle sourit.

Toujours sans un mot, le couple quitta la grande place,laissant derrière eux les lions, les anges, les chevaux, les horloges magiques et surtout les chats qui régnaient en maîtres à la nuit tombée et reprit cette fois le chemin de leur appartement, prenant des allées qu’ils connaissaient plus ou moins, s’autorisant la folie de se perdre, de faire demi-tour, de découvrir et de profiter du hasard.
Alors qu’ils passaient sur le grand pont en bois dit de l’Académie qui surplombait le Grand Canal, la jeune femme s’arrêta et s’accouda à la rambarde, restant quelques instants à contempler le clair de Lune se refléter dans l’eau mouvante, et au loin de dôme immense de la Chiesa di San Giorgio Maggiore. Armand la prit doucement dans ses bras, et ils restèrent là, le souffle coupé devant la magnificence de la lagune plongée dans la nuit. Aussi étrange que ça pouvait paraître, Anahia était heureuse et sereine à cet instant précis. Elle sentait tout contre elle la présence de cet homme qu’elle aimait et elle se rendit compte que même si cette aventure devait encore durer des âges, elle aurait toujours le courage de le faire tant qu’il était avec elle, marchant avec elle dans les chemins sinueux. Elle était prête pour poursuivre l’aventure, toujours.

Mais c’est alors que la jeune femme remarqua quelque chose, quelque chose auquel elle n’avait pas fait attention jusqu’alors. Il y avait quelque chose de dur et de lourd qui se trouvait entre elle et lui, juste au niveau de sa hanche. L’espace d’un instant, elle fut tentée de lancer une petite vanne un peu graveleuse, mais elle était trop intriguée pour tomber dans ce genre de propos. Intriguée, elle s’écarta légèrement et se rendit alors compte qu’il y avait comme un poids qui pesait dans sa poche. Un poids lourd qu’il était pourtant difficile de louper. Jetant un regard intrigué à Armand qui ne comprenait pas ce qui se passait, elle glissa sa main dans la poche de sa veste et sentit alors, entre un briquet et deux vieux mouchoirs, quelques choses de froid et de dur.

C’était impossible.

Les yeux écarquillés, elle sortit de sa poche une pierre ovale et lisse, grosse comme un œuf d’oie. Malgré la pénombre, il était facile de voir sa couleur car elle semblait briller comme d’une lumière interne. Cette lumière, d’une beauté sans nom, plus belles que toutes les lumières sur terre et au-delà était d’un vert pure, profond, éternel. Trois serpents d’or gravés de symboles secrets, l’entouraient comme pour la protéger, jetant sur eux un regard pourtant sans aucune haine.
C’était le Bareket, l’émeraude magique, c’était la Clavicule de Salomon.

C'était comme un rêve et pourtant ils ne rêvait pas.



*Il se passe vraiment des choses incroyables dans cette ville*


***

« Anahia répond moi…est ce que tu as trouvé la Pierre ? »

Toujours serrée dans les bras de la femme à la toge noire aux effets de brises, la jeune femme acquiesça, murmurant un « oui » à peine audible. Le poids lourd de l’émeraude pesait toujours dans la poche de la veste qu’elle portait.
Elle aurait pu lui laisser et partir sans. Elle y avait pensé l’espace d’une minute, comme ça il aurait juste eu le cœur brisé, pourtant elle était parti avec, sans vraiment trop savoir pourquoi.


« Tu as fait ce que tu avais à faire ? »

La question de sa sœur de la Cour ne la surpris pas. Les autres étaient au courant de ce qu’elle avait fait pour parvenir à récupérer le journal du Baron Corvo, la Cour connaissait chacune des avancées de leur quête, elle avait fait bien attention de les tenir informé en temps réel, ne passant sous silence que les réels sentiments qui l’animait pour l’homme dont elle se servait. A leur yeux il n’était qu’une marionnette, une marionnette qui devait bien sur disparaitre à partir du moment où il n’était plus utile, afin de ne pas les compromettre.

« Anahia, est ce que tu l’as tue… »
« Non… » La coupa-t-elle. « Non je n’ai pas pu, je… je suis enceinte… et c’est son bébé… » Osa-t-elle ajouter d’une voix rauque encore secouée par des sanglots. « Je n’ai pas pu… »

La femme s’écarta alors d’elle. Son visage n’était plus souriant, ni tendre, ni serein. Il était dure, froid, et pourtant, il y avait dans le regard qu’elle posa sur la jeune sorcière une sorte de douce pitié un peu triste.

« Aller prends tes affaires, l’Aînée nous attend. »



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Armand R Altaïr
Armand R Altaïr

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ϟ Métier : Prêtre ϟ Âge : 35 ans ϟ Race et sang : Sorcier ϟ Particularité : ϟ Statut civil : Célibataire devant l’Éternel, mais amoureux perpétuel

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MessageSujet: Re: Voir Venise...et mourir - ft Armand   Voir Venise...et mourir - ft Armand Empty09.04.18 13:47


   

Voir Venise et mourir




Son corps nu lové entre les draps, Armand émergeait d'un profond sommeil, le sourire aux lèvres. La nuit avait été exceptionnellement bonne pour notre jeune marié, et avait laissé dans son subconscient l'empreinte de rêves voluptueux. Il faut dire que la Clave leur était enfin apparue, les emportant dans un tourbillon de bonheur. Armand avait même encore du mal à y croire, et pourtant il l'avait tenu dans sa main. La Clavicule du Roi Salomon était en leur possession, et à présent tout devenait possible. Ils n'avaient qu'à la ramener à Rome, et ensuite il pourrait prendre congé de la Loge. Les rivages perdus de Galaab n'attendaient qu'eux, et dans l'une des maisons au bord de la jetée, ils reconstruiraient une nouvelle vie. Armand avait déjà visité ce monde, et il voyait aussi distinctement les reflets verts de la mer à l'horizon que la soleil en plein jour. Il imaginait souvent comment serait leur nouvelle vie, et il ne cachait à Anahia aucun des détails de son fantasme. Il lui parlait du patio ombragé où des perroquets verts se cachent dans les dattiers, de leurs enfants qui jouaient ensemble. Il avouait volontiers qu'il en voulait beaucoup, et il faut dire qu'il avait tant à offrir qu'on ne pouvait pas le lui reprocher. Lui qui jusque là avait toujours été horrifié à l'idée de devenir père de famille, se sentait à présent prêt, à tel point que c'est vite devenu ce qu'il souhaitait le plus au monde.

Midi approchait, et Armand étira paresseusement ses bras. D'ordinaire il ne restait jamais paresser au lit, mais qu'il était bon de rester sous les draps lorsque l'on avait une femme aussi parfaite. Ses yeux s'entrouvrirent, lui offrant l'image floue de leur chambre d'hôtel où le soleil à son zénith perçait à travers les rideaux. Rejetant le draps sur ses épaules frêles marquées de roses, il se tourna à la recherche d'un visage familier. Et pourtant l'oreiller était vide, lui causant une profonde déception. Il soupira, sans doute était elle dans la salle de bain. Se roulant en boule, il ferma les yeux et ravala sa frustration. Pour une fois il se fichait bien qu'il soit midi, et avait l'esprit suffisamment échauffé par ses rêves pour réclamer sa femme. Car s'il s'était montré extrêmement innocent et pudique lors de la première nuit qu'ils avaient passés à Jérusalem, depuis il s'était grandement amélioré et avait prit un certain goût à la chose.

Au bout d'un moment il s'assit en tailleurs sur le matelas et appela son nom. Il avait cette façon de l'appeler qui lui était propre, avec cette sonorité douce et l'ajout d'un R qui roulait sur un I. Il tendit l'oreille, pas de réponse. Commençant à s'inquiéter, il se leva et alla voir dans la salle de bain. Elle restait introuvable, ce qui acheva de l'étonner et de l'inquiéter. Armand prit immédiatement son téléphone et tenta de l'appeler, en vain. Pétri d'angoisse, il tenta de se rassurer comme il pouvait. Après tout Anahia pouvait se montrer très nonchalante, et sans doute il y avait une très bonne explication à tout cela. Gardant toujours ton téléphone contre l'oreille, il entreprit de s'habiller. Et alors qu'il glissait son bras dans sa chemise, il réalisa quelque chose d'extrêmement curieux. Pourquoi est ce qu'il n'y avait plus que ses affaires dans l'armoire ? Un frisson d'angoisse le saisi, et il tourna immédiatement la tête, laissant tomber son téléphone sans même essayer de le rattraper. Où était son manteau qu'elle posait toujours sur la chaise ? Ses chaussures qu'elle laissait tout le temps traîner sous le lit ? Dans la salle de bain c'était la même chose, d'ordinaire il aurait trouvé sa brosse à cheveux à côté se son petit bazar féminin. Mais là il n'y avait plus rien, rien d'autre que ses petites affaire à lui, gentiment rangées. C'était comme si le rêve de cette femme irréelle s'était évaporée, ne lui laissant aucune preuve de la place qu'elle s'était faite dans sa vie.

Complètement sonné, Armand n'avait qu'une question qui martelait son esprit déboussolé : Pourquoi ? Il fut à nouveau saisi d'un frisson, comme un vertige qui l'emportait sur une très mauvaise voie. Il avait peut être une réponse à ce pourquoi, une réponse qui, si elle s'avérait exacte, anéantirait tout ce qu'il était à l'intérieur. C'était une idée terrifiante, qui lui sembla immédiatement odieuse, et pourtant il n'avait plus que celle là en tête. Il se précipita dans la chambre et entreprit de chercher fébrilement les documents qu'ils avaient rassemblés pendant leur périple. Tous étaient introuvables, à commencer par les écrits du Baron. Se sentant glisser au bord de l'hystérie, Armand lâcha un hurlement de rage et de frustration qui se conclu par un bruyant sanglot. C'était un horrible cauchemars, le ciel qui s'abattait sur lui, un piège mortel qui se refermait. Un puissant sentiment de trahison lui serrait les entrailles, le plongeant dans une colère sourde mêlée d’incompréhension et de désespoir. Le choc était extrêmement violent, et il ne pu retenir des insultes horribles qui traversèrent sa bouche. Tout ce qu'il y avait de beau et de noble en lui se retrouvait complètement souillé, et tout l'amour qu'il lui portait s'était soudain embrassé. Elle l'avait trompé, depuis le début elle lui servait des mensonges, et maintenant qu'elle avait fini par avoir ce qu'elle convoitait, elle le volait et le trahissait. Ivre de colère, il se retrouva dans un état d'hystérie qu'il ne pensait pas être capable d'éprouver. Il ne se reconnaissait plus, il la haïssait comme jamais il n'avait haïs quelqu'un, et bien sur il se maudissait de s'être montré aussi stupide.

Et pourtant, et pourtant le reliquaire était encore là. Un coffret d'or absolument sublime qu'il avait été cherché dans un monastère de Savoie. Les archives lui avaient apprit que durant ses nombreuses péripéties, la Clavicule avait un temps été conservé à l'intérieur de cet écrin. Et bien sur il avait aussitôt fait les démarches nécessaire pour emprunter cet objet et rendre à cet arche mystérieuse, le joyaux pour laquelle elle avait été conçue. Pourtant elle était encore là, comme pour lui dire que tout espoir n'était pas complètement perdu. Les mains tremblantes, il s'y reprit à plusieurs fois avant d'ouvrir le mécanisme. Une lourd sanglot lui arracha le cœur. Bien sur que l'arche était vide, il était fou d'y avoir cru pendant ne serait ce qu'une seule seconde. Ses jambes se dérobèrent sous lui, et il se laissa tomber sur le lit pour y pleurer sans aucune retenue.

Pour une être aussi sensible qu'Armand, une peine de cœur pouvait se révéler être une souffrance absolument insoutenable. Mais dans ce cas précis c'était la trahison et la honte qui le faisait le plus souffrir. Elle l'avait dupé, du début à la fin. Et hier encore il s'endormait dans ses bras, ivre de ses caresses. Il avait beau retourner la situation dans sa tête de toutes les façons possibles, il n'arrivait pas à accepter l'évidence, tout ce qu'elle feignait de ressentir n'était qu'un mensonge, une manipulation pour arriver à ses fins. Et il faut dire qu'il s'était montré on ne peut plus zélé pour lui faire plaisir. Il avait écumé les archives pontificales sur sa demande, lui avait donné le carnet du Baron qu'elle recherchait depuis si longtemps, et même il avait le sentiment que la Pierre ils ne la devaient qu'à lui seul.

Et que dire des sentiments qu'il avait pour elle ? Il avait l'impression de lui avoir tout offert, bien au delà de ce qui était tolérable. Cette nuit où ils s'étaient échangés leurs vœux d'amour éternel, elle avait menti. Elle lui avait menti dans les yeux, lui promettant qu'elle le voulait comme son époux sous le regard de Dieu. Jamais il n'aurait été capable d'imaginer qu'un être humain puisse se montrer aussi dépourvu de moral. C'était totalement impossible, et pourtant la vérité était devant ses yeux tout le temps. Le souvenir de sa peau contre la sienne lui provoquait un dégoût insoutenable. Elle s'était servit de lui sur tout les plans. Et au bout de plusieurs heures à pleurer toutes les larmes de son corps et à retourner le couteau dans la plaie, il se demanda presque s'il avait été soumis à la tentation par le Diable en personne. Et si c'était le cas, il avait lamentablement échoué et s'était jeté sans retenu dans ses bras.

Les yeux bouffis et le visage totalement défait, il se roula en boule, incapable de trouver une pensée réconfortante dans cet océan de malheur. Il avait commis une erreur impardonnable, un très grave pêché. Serrant son poing en regardant les reflets bleutés de son alliance, il partit dans une nouvelle crise de larmes. La colère avait laissée place à la honte, une honte cuisante qui le dévorait de l'intérieur. Écrasé par la culpabilité, il se sentait incapable d'assumer ses erreurs. Après tout, et même si personne ne pouvait en témoigner, il avait trahit ses vœux. Mais bien entendu ce n'était pas qu'une question d'apparence, il se sentait véritablement incapable de supporter le regard de Dieu. Il avait trahit tout ce qu'il chérissait de plus au monde, et ça c'était une idée avec laquelle il ne savait pas vivre. Et pourtant sa lâcheté n'était plus une simple affaire entre lui et son Créateur, qu'allaient penser ceux qui vivaient dans son sillage ? Qu'allait dire son oncle ? Et la Loge ? S'il n'était pas déjà en train de se consumer de l'intérieur c'est parce qu'il n'avait rien dit sur leurs activités, mais au fond de son âme il savait parfaitement qu'il les avait trahit. L'idée de se voir infliger un châtiment était absolument insoutenable. Il connaissait les textes, il connaissait les lois, et il avait une vague idée du sort horrible qui l'attendait. Et pour cela il n'avait même pas besoin de remettre un jour les pieds à Rome. Il savait qu'il serait traqué sans relâche jusqu'à ce que la sentence du Tribunal Secret soit accomplit. Tétanisé par la peur, il se sentit véritablement prit au piège. Lâche comme jamais, il chercha un moyen de s'enfuir, de se soustraire à un châtiment pire que la mort.

Les fioles de poison qu'il avait préparé pour leur permettre de rejoindre Galaab attendaient patiemment leur heure sur la table de nuit. L'envie de les boire toutes les deux d'une traite était puissante, mais il fut rapidement saisi par la peur. Doubler la dose provoquerait à coup sur une mort lente et très douloureuse. C'était s'exposer à des dizaines d'heures de souffrance et de vomissement jusqu'à finir enfin par voir la délivrance. Et après ? Il ignorait dans quelle limbe atroce son esprit irait voguer. Se soustraire à la damnation éternelle était une chose, mais ce sort là n'était pas non plus très enviable.

Et pourtant avait il le choix ? Terrifié par cette perspective, il échafauda un nouveau plan qui à défaut d'être meilleur, lui assurait de moins grandes souffrances. S'estimant être un bon chrétien, Armand n'avait jamais envisagé le suicide comme une fin possible. Et pourtant à cet instant il se sentait au pied du mur, et était incapable de voir une autre voie. C'était devenu la seule possibilité, un tombé de rideau magistral et le moyen le plus simple de laisser derrière lui tout ses problèmes. Sa lâcheté lui faisait honte, mais il avait l'esprit tellement embrouillé et engourdit par la souffrance, que tout autre raisonnement lui était inaccessible.

Cette journée était étrange. Il avait passé la moitié du jour à dormir en rêvant d'amour, et l'autre à pleurer ce vide qui s'était créé en lieu et place de son cœur. C'était invivable. Épuisé par la violence de ses sentiments, il rejoignit le Grand Canal, bien décidé à en finir avec ce trouble qui lui retournait l'âme. Armand ressentait toujours beaucoup trop de choses, il était né comme ça. On le disait passionné ou entier quand on voulait être gentil, impétueux et délirant quand on l'était beaucoup moins. Des rapports humains il avait toujours tiré autant de grandes joies que de bleus à l'âme. Et pourtant mon Dieu, comme il aimait les gens. Sa capacité à être bon et à offrir sa confiance était autant une qualité chrétienne qu'une malédiction, et cette fois ci elle l'avait entraîné au delà de la souffrance. Être aussi violemment secoué par les émotions était épuisant à la longue, et pour la première fois Armand ne voulait plus porter ce fardeau. Il ne voulait plus faire parti de l'assemblée de Vivants, qu'on le laisse enfin au calme et au silence de la pierre et des os. Que son cœur meurtri coule au fond du Grand Canal.

Les reflets gris de l'eau ondulaient sous ses pieds suivant un rythme hypnotique. Un vent frais se leva et acheva de le faire frissonner. Mais qu'est ce qu'il était en train de faire ? Est ce qu'il était vraiment en train d'envisager sérieusement de se jeter dans le canal ? Mais est ce que ça marcherait au moins ? S'il s'en sortait avec une bonne pneumonie il serait bien avancé... Saisi d'angoisse et incapable de se décider à faire le grand saut, Armand gambergeait. Et même si cela fonctionnait, quel sort l'attendait ? Serait il un de ces esprits errants retenu à jamais dans l'antichambre de la mort ? Verrait on danser sur les reflets de l'eau le spectre évanescent d'un amoureux mort de chagrin ? Et au jour du Jugement, comment pourrait il soutenir le regard des anges qui pèserait son pêché dans une balance d'or ? La peur le tétanisait sur place, et il ressentit le besoin qu'on l'aide un peu à se jeter à l'eau, si je puis m'exprimer ainsi.

Tirant son téléphone de sa poche, il appela un homme qu'il jugea tout à fait capable de le jeter dans le vide de sang froid. Après tout son oncle n'avait il pas été extrêmement sec en lui envoyant son dernier mail ? Il le détestait, là dessus Armand n'avait aucun doute. La veille il lui avait délicatement conseillé d'aller au Diable, et ses paroles résonnaient de façon prophétique dans son esprit. La tonalité se fit entendre, et immédiatement Armand reconnu la voix grave de son oncle.

S'occuper des états d'âmes de son fragile neveux était certainement aussi agréable que de faire le tour de la place Saint Pierre en marchant pied nu sur des lego. Et pourtant, le cardinal avait fini par s'attacher sans s'en rendre compte à son insupportable présence. Cette politesse niaise qu'il avait en lui cassant les oreilles dès le matin, alors que lui tout ce qu'il souhaitait c'était du calme et un café. Sa façon presque efféminée de se mettre dans tout ses états dès que quelque chose de vaguement négatif le touchait. Son besoin infantile d'avoir toujours le dernier mot et de cacher la vérité. Parfois Votelli avait le sentiment d'être en charge d'apprendre la théologie à une collégienne dissipée, et maudissait sa sœur de lui avoir collée son indécrottable engeance dans les pattes. Et pourtant malgré cela il leur arrivait d'échanger de vrais moments de complicité, souvent très courts mais qui restait gravés dans son esprit. Armand pouvait parfois s'avérer drôle, autrement qu'à ses dépends. L'humour n'était pas franchement son truc, mais il lui arrivait d'avoir un bon mot qui amusait le cardinal. De loin ces deux là n'était pas fait pour cohabiter, l'un était taciturne et renfermé, et l'autre expansif, bavard et doté d'une sensibilité exacerbée. Armand avait le sentiment que son oncle était inflexible et jamais satisfait de son travail. Quand au cardinal, il tentait d'ignorer au mieux les enfantillages et les plaintes d'un élève très inventif dès qu'il s'agissait de distractions et de bêtises.

Et pourtant la petite fugue amoureuse ridicule du gamin l'avait profondément blessé. Comment pouvait on se montrer aussi nonchalant ? Alors certes il avouait s'être montré plutôt méchant dans son mail, mais il gardait en tête que ce gamin méritait une bonne correction. Attablé à son bureau, il était en train d'éplucher des rapports d'exorcisme que venait de lui soumettre deux membres de l'ordre. L'affaire était compliquée, et il sentait déjà qu'elle allait l'obséder un moment. Il sursauta quand son téléphone sonna, et il enleva ses lunettes comme pour se détacher de sa lecture. Il arqua son sourcil noir de cette façon sexy qui lui allait si bien. Un revenant lui passait un piteux coup de fil. Qu'est ce que ce sale petit impertinent avait encore à lui demander ? Curieux, il décrocha, tout en pariant intérieurement qu'il allait avoir l'audace de lui réclamer de l'argent. La dolce vita ça vous sèche un homme, lui même le savait d'expérience.

La voix étouffée d'Armand résonna à son oreille. Il sanglotait à moitié et semblait essayer de réunir tout son aplomb pour former des phrases cohérentes. Votelli fut très surprit, mais n'en laissa rien paraître. Il l'encouragea froidement à s'exprimer, et écouta, essayant de démêler quelque chose de compréhensible dans ses bafouillages. Des excuses, toujours des excuses, certaines phrases revenaient en boucle, preuve évidente qu'il était bouleversé. Il lui demandait pardon, pourquoi exactement, il n'en avait aucune idée. Mais il clamait qu'il était innocent, qu'il avait été dupé. Au bout d'un moment il murmura qu'il avait été tenté par le Diable, et Votelli manqua presque de perdre patience. C'était certainement l'excuse la plus nulle que l'on puisse trouver ! Il prit sur lui pour se retenir de lui cracher cette pensée au visage, et l'écouta longuement pleurer. Mais qu'est ce qu'il avait encore foutu ? Il l'avait déjà vu à de nombreuses reprises entrer dans des crises de larmes, mais cette fois il faisait fort. Non seulement il ne comprenait rien à ses gémissements, mais en plus il sentait sa patience s’étioler.

Alors qu'il ouvrait la bouche pour l'envoyer proprement chier, Armand laissa échapper une formulation maladroite qui lui fit l'effet d'un choc. Gardant le silence il l'écoutait, guettant dans chacun de ces mots la preuve qu'une idée insidieuse et dangereuse s'était infiltré dans l'esprit de son garçon. Quand il en fut sur, il eut un frisson. Oui il lui parlait bien de se tuer, et ses demandes insolentes de pardon allaient aussi dans ce sens. L'air de rien il connaissait son neveu, il avait le feu dans le corps et il était de ceux qui pouvaient véritablement mourir de chagrin. Prenant la menace extrêmement au sérieux, Guido se dépêcha de rassembler rapidement ses affaires. Il devait le garder au téléphone le plus longtemps possible, ce qui était facile car le gamin avait cette capacité de s'étendre sur ses sentiments de façon interminable. C'était quand lui devait parler qu'il se montrait beaucoup moins sur de lui. Et s'il ne choisissait pas les bons mots ? Et s'il n'arrivait pas à le consoler ? Il allait se tuer c'est évident. Désamorcer un émotif en plein délire suicidaire, ce n'était juste pas du tout un terrain sur lequel il était à l'aise. Et pourtant, c'était lui qu'il avait appelé au secours. En chemin vers l'aéroport, Guido Votelli lui mentit ouvertement. Il n'était pas fâché, bien sur qu'il lui pardonnait, et peut importe ce qu'il s'était passé il arriverait à tout arranger et les choses reprendraient leur cours. Bien entendu il savait que tout ça c'était du vent, qu'il n'avait aucune garanti de pouvoir le sortir de ce merdier dans lequel il s'était foutu. Mais il se sentait responsable de lui malgré tout, et pour rien au monde il ne voulait que cette conversation soit la dernière. Quand il le laissa, Armand semblait apaisé, et lui promit qu'il ne ferait rien de stupide. Pourtant tout au long du vol, le cardinal avait la boule au ventre et pria pour le retrouver vivant.

Il lui avait donné l'ordre de l'attendre dans un austère couvent vénitien où il avait prévenu le portier de son arrivée. Jusqu'à la dernière seconde Votelli doutait de l'y voir, s'imaginant déjà devoir faire le tour des hôpitaux pour espérer le retrouver. Et pourtant il était bien là, reclus dans la chapelle en pleine tentative d'obtenir le pardon de son créateur. La peur de perdre son enfant étant bien plus forte que son tempérament fermé, Guido le saisi vivement dans ses bras et le serra contre lui. Armand se laissa bien volontiers aller à cette étreinte, et éclata à nouveau en sanglot. Il le laissa pleurer autant qu'il en avait besoin, caressant ses cheveux jusqu'à réussir à lui imposer du calme. L'invitant à s'asseoir, il écouta son récit qui se faisait plus détaillé et construit que la version qu'il avait eut au téléphone quelques heures plus tôt. Il lui parla de la femme dont il était éperdument tombé amoureux, de son envie de fonder une famille avec elle, de la Clave qu'elle lui faisait miroiter et de leur quête pour parvenir à la trouver. Guido écoutait silencieusement, avec cet air grave de confesseur. Il savait qu'Armand ne mentait jamais, mais qu'il lui arrivait parfois de garder des vérités dans l'ombre. Son intuition était vraie, car il ne lui parla pas une seule seconde de ce serment de mariage qu'il avait prononcé. Mais Guido était capable de lire entre les lignes, et voir cette alliance au doigt de son neveu était suffisamment éloquent. Pour ne pas enfoncer le couteau dans le plaie il choisi de ne rien dire, et d'ignorer ce détail.

Le plus important était comment est ce qu'il allait le protéger désormais. Sa trahison était évidente, même s'il ne l'avait jamais voulu. Et le sort qui menaçait de s'abattre sur lui était inhumain. Même s'il venait d'éviter un péril mortel, Armand était très loin d'être sortit d'affaire. Le cardinal soupira lourdement, un autre combat l'attendait, et il supplia Dieu de lui donner force et inspiration.
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Anahia Tal'ahjon
Anahia Tal'ahjon

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ϟ Métier : Professeur de divination à l'école de Magie d'Ilvermorny ϟ Âge : 38 ans ϟ Race et sang : sorcière Mohawks ϟ Particularité : voyance ϟ Statut civil : Mère célibataire

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MessageSujet: Re: Voir Venise...et mourir - ft Armand   Voir Venise...et mourir - ft Armand Empty19.04.18 18:48


Voir Venise...et mourir
Sirat al Bunduqyyiah


Il faisait doux, dans la Cour secrète dite de l’Arcane. L’air était rempli de parfums tendres et délicats, des odeurs de bruyère, de fleurs d’oranger, des odeurs de printemps. Une glycine centenaire au tronc large et sinueux grimpait le long d’un mur lézardé de fines fissures. Ses feuilles en amande et ses fleurs en grappes violettes étaient par moment comme animés d’une vie propre, touché par la caresse d’une brise tiède et rassurante. Recouvrant presque entièrement un autre mur, une grande vigne vierge courait coutre la pierre comme si elle tentait d’en prendre totalement possession. Presque totalement dissimulé sous son giron, une petite fontaine, très simple et sans ornement, faisait couler en un filet limpide une eau claire comme le cristal qui brillait sous les rayons délicat du soleil timide, une rose était posée sur la vasque. Le bruit régulier de la fontaine, le son des rires d’enfants qui couraient sur les dalles inégales de la cour en jouant, et le bourdonnement des abeilles qui butinaient ici les fleurs de glycine, ici celles du liseron que personne n’arrachait plus depuis longtemps, là celles du vieux pommier au tronc presque blanc, donnait à ce décor quelque chose d’hautement merveilleux.

Seule, Anahia marchait le long de la balade couverte qui entourait la cour sous les grandes arches aux colonnes rondes et gravées de plantes et de fleurs. Son regard était fatigué, moins anxieux peut être que la veille alors qu’elle était recroquevillée dans les toilettes de l’aéroport Marco Polo, mais pourtant, bien qu’elle fut ici à l’abri de toute attaque, elle n’en éprouvait aucun réconfort. Elle le savait à présent, la quiétude et la tranquillité seraient à jamais bannies de sa vie, et elle allait devoir se préparer à vivre une nouvelle existence faite d’angoisse et de doute. Mais c’était comme ça, et aujourd’hui elle ne pouvait plus rien y changer. Elle aurait du le voir, consulter et écouter les signes annonciateurs de cet épisode douloureux de sa vie, mais elle n’était pas sure que ça aurait changé grand-chose en fin de compte. Même cette fuite désespérée n’était dans le fond que la suite logique au rêve qu’elle avait fait. En y réfléchissant bien, peu être même que la prémonition était dans la fuite, et que le rêve n’avait été que le déclencheur, qu’elle était de toute façon destinée à partir et à affronter l’éternité seule.
Tout cela ne tenait pas vraiment debout, elle le savait, mais c’était pourtant comme ça qu’elle essayait de se déculpabiliser depuis vingt quatre heure. Dès qu’elle pensait à lui, et ça lui arrivait en permanence en vérité, elle sentait son ventre se tordre et une bouffée d’angoisse la prendre. Elle n’aurait pas du le laisser comme ça, elle n’aurait pas du l’abandonner sans même un mot, sans même une explication. La culpabilité de l’abandonneur était énorme, mais la moindre trace qu’elle aurait laissée aurait été un nouvel indice pour la retrouver, et ça, c’était ce qu’elle souhaitait éviter au maximum. Il ne devait pas la retrouver, ILS ne devaient pas la retrouver, jamais, sinon elle savait que le sort qu’on lui réserverait serait au-delà de l’imaginable, sans parler de ce qui risquait d’arriver au fœtus qu’elle portait en elle. Instinctivement, à cette pensée, elle porta une main sur son ventre dans un geste tendre et protecteur. Ils ne les retrouveraient pas, non, ils ne les retrouveraient jamais. Temps qu’elle restait cachée ici, ils seraient en sécurité, mais pour combien de temps encore la laisserait-on rester entre les murs gardiens de la Cour ? Elle avait été bien idiote dans cette affaire, bien imprudente surtout. Si sure qu’elle avait été d’éliminer en fin de course ce témoin utile mais encombrant, elle lui avait révélé de nombreuses informations sur elle en même temps qu’un gros paquet de mensonges. Serait-il à même de démêler le vrai du faux ? De comprendre d’où elle venait vraiment ? Que si son nom de famille n’était pas […], son prénom était bien Anahia, qu’elle était bien voyante et qu’elle faisait partie d’un ordre secret. Beaucoup d’informations ô combien compromettantes, et surtout suffisantes pour la mettre en danger, elle, mais aussi tous ceux qui étaient protégés par la Cour, qui malgré son influence n’était pas de taille à combattre des fous furieux tels que les R+C.

D’une marche lente, elle avançait le long des murs, faisait voler autour d’elle la grande toge noire qu’elle portait, comme chaque personne ici. Elle ignorait le pouvoir que ces vêtements pouvaient bien avoir, mais en tout cas elle se sentait bien lorsqu’elle portait le sien, comme si elle faisait soudain partie d’un tout. L’ampleur du tissu, la légèreté de la fabrique, cette caractéristique qui le faisait se mouvoir en permanence même sans un souffle de vent ni un mouvement, et surtout cette couleur qui se mariait si bien avec celle sombre comme la nuit de ses longs cheveux, tout ça lui donnait l’allure d’un spectre se déplaçant sous les voutes croisées. Ses yeux, deux billes noires qui avaient depuis peu perdus les derniers reflets de l’insouciante jeunesse, glissaient eux aussi sur les murs, allant d’une image à l’autre comme si défilaient devant eux les pages d’un grand livre illustré. Les générations qui étaient comme elle passées sous les arches avaient laissé leurs traces, dessins à la craie, peinture en miette, mosaïques de pierres et de faïences récupérés. L’ensemble des fresques donnait un sentiment étrange entre l’hétérogénéité totale et une sublime harmonie. Les jeunes représentations coexistaient avec les plus vieilles, centenaires, elles racontaient milles histoires grandioses, où alors de simples anecdotes, de simples personnages vous fixant à leur tour de leurs yeux qui semblaient vous suivre à tout moment. Anahia les connaissait tous, elle avait passé des heures à les observer, à les aimer, même parfois à leur parler. Il y avait tant à apprendre de ces images magiques.
Passant devant la peinture de la jeune femme à l’arc et à la lune, elle arriva devant ce qui était sans doute la plus belle pièce des décorations de sous les arches : Un papillon immense fait de verre coloré de milles couleurs. Alors qu’elle le regardait, un rayon de soleil passa sur le chemin couvert et vint taper contre le mur où la mosaïque de verre était installée. Immédiatement, des centaines de reflets se rependirent tout autour d’elle, comme une boule à facette mais en plus spirituel. Marchant dans ces reflets innombrables, Anahia porta alors son regard sur le groupe d’enfants qui jouaient à attraper les morceaux de soleil colorés qui dansaient désormais dans la cour comme des lutins malicieux.
Emue de cette scène splendide des jeux d’enfants, la jeune femme s’appuya contre les colonnes et les observa quelques minutes, un sourire imperceptible aux lèvres. Il y avait quelque chose d’étrange dans cette cour, dans l’eau qui y coulait, dans le vent qui y soufflait. Les saisons changeaient, le printemps passant à l’été, l’automne à l’hiver, et pourtant la vision de la Cour était toujours belle et enchanteresse, bien que parfois terrible. Mais quelque fut le moment de l’année, quelque fut la neige ou le soleil, le froid ou la douceur, il y avait toujours ses enfants, ces mêmes enfants qui jouaient et dansaient sur les dalles hasardeuses de la cour, écoutant parfois une histoire, dessinant d’autre fois sur les murs éternels. Anahia avait déjà posé la question de ce qu’étaient ces enfants en réalité, car il lui était un jour venu à l’esprit que ce ne pouvait pas être des enfants comme les autres. On lui avait répondu par un sourire et elle avait alors compris que la réponse viendrait en son temps, et que comme tout ce qu’il y avait dans la Cour, c’était emprunt d’une forme vieille et secrète de magie.
Suivant des yeux les petites créatures qui riaient à quelques mètres devant elle, la jeune femme figea cependant son sourire qui disparu rapidement. Elle venait d’entendre un bruissement de tissu juste derrière elle, une marche qui s’arrête. Son cœur se serra, elle avait longuement attendu ce moment. Depuis un jour qu’elle avait trouvé refuge dans la Cour Secrète dite de l’Arcane, personne ne lui avait parlé, personne n’était venu à sa rencontre. Des choses la concernant étaient en décision et le silence était de mise. Il n’y avait donc qu’une seule personne qui pouvait venir ainsi la voir.


« Alors comme ça, tu es tombée enceinte ? »


Cette voix, elle l’avait reconnue avant même de l’entendre. Elle était douce, calme, dure aussi, mais surtout elle portait en elle des échos lointains comme si elle provenait de vieilles cités oubliées figées entre la roche et l’eau. C’était bien sur la voix de l’Aînée. Baissant les yeux, elle constata que sa main était toujours posée sur son ventre. D’un mouvement léger du pouce, elle caressa cette surface qui bientôt serait ronde et tendue, essayant de sentir au fond d’elle cette petite créature qu’elle aimait déjà si fort. Alors, sans dire un mot, sans confirmer, elle releva la tête. L’Aînée s’était approchée et assise contre la colonne toute proche. Son regard, sans âge, était dur mais sans reproche, sage, et même un peu triste il lui semblait, comme si elle comprenait d’une certaine façon les choix difficiles qu’elle avait eu à faire. Elle eu envie de se jeter dans ses bras, de plonger et de cacher son propre visage dans ses longs cheveux blancs, mais elle devait se tenir. Elle ne pouvait plus agir comme une gamine. Ce temps là était terminé.
Pendant quelques minutes, les deux femmes se regardèrent, sans échanger un mot, deux reflets l’un face à l’autre, l’un dans l’autre. Anahia avait toujours eu la sensation que l’Aînée pouvait lire dans son esprit comme s’il lui était ouvert, alors qu’avait-elle à fait des mots prononcés. Au bout d’un temps, la femme qui lui faisait face poussa un profond soupir, puis tourna la tête vers le centre de la cour.


« Tu n’as pas été très prudente ni très maline sur ce coup là, tu nous as exposé à de grands dangers… nous tous… » Un silence que seuls venaient perturber les rires et le chant de la fontaine s’installa, l’Aînée regardant les esprits-enfants, Anahia regardant l’Aînée. Elle ignorait ce qui allait lui arriver et elle savait au fond d’elle que personne en ces murs ne savaient vraiment quoi penser ni quoi faire, en tout cas pas encore. La mission qu’on lui avait confié plusieurs mois plus tôt avait été menée à bien, elle avait trouvé et ramené la Clave pour qu’elle soit définitivement soustraite au désir jamais satisfait des Hommes d’acquérir toujours plus de pouvoir. Mais maintenant, que faire ? La Cour allait-elle accepter de couvrir ses arrières et de l’aider à s’extirper de la merde dans laquelle elle pataugeait, elle qui avait désormais aux fesses des hommes parmi les plus dangereux de la chrétienté. Il n’y aurait plus vraiment d’endroit sur à présent. La voix de l’Aînée était à présent comme un murmure « Mais au moins tu as ramené la Pierre… je ne te le cache pas, je ne suis pas sure que ce sera suffisant, mais c’est au moins une chose… » Alors la femme ni vieille ni jeune tourna le regard vers elle, comme si elle cherchait à entrer une nouvelle fois dans son esprit. Une brise fit voleter des mèches de ses longs cheveux blancs comme des fils d’araignée dans un rayon de soleil. « Y a-t-il quelque que tu voudrais me dire avant la tenue du conseil ? »

Ca, des choses à dire, oui elle en avait plein. Elle en avait tellement qu’elle aurait pu y passer des journées entières. Anahia avait mal, elle avait mal au cœur et à l’âme, elle avait peur, elle avait froid pour une des première fois de sa vie. Pas du froid de l’hiver, mais celui de la fatigue, de l’épuisement mental. Elle n’était plus sure, plus sure de rien, plus sure de vouloir faire ça, plus sure de vouloir continuer le combat de la Cour, plus sure d’être à la hauteur ni d’en avoir le courage et la force. Pour cette raison elle avait demandé au conseil de l’aider. Elle mettrait longtemps à le reconnaitre, mais cette dernière mission l’avait changé plus qu’aucune autre, car pour la première fois de sa vie, la jeune femme s’était prise à aimer, sans comprendre pourquoi, et d’amour elle s’était perdue en elle-même. Et aujourd’hui, il lui fallait retrouver un chemin, le chemin, le chemin de chez elle peut-être. Mais où était est-ce ? Chez elle ? La sorcière n’avait jamais été chez elle nulle part, c’est peut être pour cette raison qu’elle avait passé toutes ces dernières années à voyager autour du monde.
Devant son silence qui persistait, l’Aînée poussa un nouveau soupir, et se redressa.


« Bien… nous te tiendrons au courant rapidement… »

Dans un mouvement d’une grande grâce, la silhouette s’éloigna, dans un bruit régulier de pas feutré. Ce fut alors que la jeune femme se décida enfin à parler. Après avoir passé vingt quatre heures à ne rien dire, sa voix était comme cassée, enrouée, peut être à cause des larmes aussi. Dès qu’elle parla, elle entendit les bruits de pas s’arrêter, mais elle ne se retourna pas, restant le regard figé sur l’eau claire de la fontaine et les reflets colorés du grand papillon de verre qui dansaient toujours sur les dalles irrégulières.

« La clavicule… il y a des caractères anciens presque totalement effacés qui sont gravés le long des serpents d’or. Melchisedch, le rabbin avec qui j’étais en contact à Jérusalem, il pensait qu’il s’agissait d’une formule magique destinée à révéler les véritables pouvoirs de la Pierre… mais j’ai découvert qu’ils étaient postérieurs à l’ajout des pièces d’orfèvrerie. Il s’agit en réalité d’un message codé gravé par Iram, l’architecte de Salomon qui lui avait offert le Bareket pour le récompenser de la construction du Temple de Dieu. Si on s’en réfère au texte que j’ai trouvé à Jérusalem… pour les initiés, ces caractères donneraient les indications pour retrouver l’un des trésors de Salomon et de la reine de Saba. » Un nouveau silence s’installa, silence pendant lequel Anahia le savait, l’Aînée était en train d’analyser les informations capitales qu’elle venait de lui révéler en première main. « Bien » Dit-elle simplement avant de reprendre sa marche vers la salle du conseil où déjà devaient l’attendre les autres sœurs en noir.

Restée seule, Anahia se rendit compte que sa main tremblait. Les découvertes qu’elle venait de révéler, elle n’en avait jamais parlé avec Armand, mais elle l’aurait fait, si elle en avait eu le temps. Peut être alors seraient-ils parti ensemble non pas à travers le sommeil vers de nouveaux rivages comme lui le rêvait, mais vers une nouvelle aventure fantastique et rocambolesque. Ils avaient et auraient formé un duo d’enfer, si seulement ils avaient eu le temps, si seulement ils avaient été d’autres personnes dans une autre cosmogonie.
Le décor qui s’étendait devant ses yeux se brouilla, comme si un voile de brume pâle tombait dessus. Il lui fallut quelques minutes pour comprendre qu’encore une fois, elle pleurait.
Elle ferma les yeux, se fermant aux bruits des esprits et de la fontaine, au bruit et à la caresse du vent dans les feuilles, à la chaleur tendre du soleil de printemps.


***

Lorsqu’Anahia rouvrit les paupières, le décor qui s’étendait devant ses yeux noirs avait changé. Elle se trouvait à l’intérieur d’un petit pub à l’allure sombre. La forte lumière d’été qui filtrait à travers les fenêtres en vitrail donnait à l’intérieur une ambiance lourde, comme si à l’intérieur la journée était déjà bien avancée. Les odeurs d’ici étaient bien différentes de celles de la Cour. C’étaient des odeurs de bière, de vieux tabac à pipe, de vernis à bois et si on allait bien chercher, un vieux reste de poudre. Les murs, longés de lambris sombre, portaient à tout va de vieilles photos en noir et blanc d’hommes aux regards sévères et aux casquettes visées sur la tête, côtoyant une vieille cible de fléchettes qui semblait avoir bien vécue. Il y avait aussi de vieilles affiches pour des brasseries locales, des cartes anciennes de l’île dont les côtés étaient rongés par le temps ainsi qu’un grand miroir piqué de rouille où lui semblait-il des fantômes passaient de temps en temps. A quelques tables de là, il y avait deux hommes qui jouaient aux dames en buvant une bière noire dans de grands verres, d’autres qui parlaient doucement dans un accent rocailleux, d’autre encore qui ne disaient rien mais lisaient les journaux du jour, cherchant dans les colonnes des informations intéressantes, ou remplissant un mot croisé avec détermination. Derrière son comptoir, un homme grand et dégarni essuyait des verres en discutant avec une femme d’un certain âge au dos incroyablement vouté accompagnée d’un chien immense, si grand qu’on aurait pu y faire grimper un enfant. Le chien lui ne faisait rien, et attendait là, allongé immense sur le sol poussiéreux que sa maîtresse termine sa conversation. Un peu plus loin, à mi-chemin entre la banquette où la jeune femme avait désormais ses habitudes et la porte d’entrée du bar, il y avait une petite estrade où trois musiciens répétaient pour leur set du soir, l’un au violon, l’un au whistle et le dernier au bodhràn. Ils étaient en train de travailler une reprise d’un vieil air bien connu qui restait immanquablement dans la tête. Levant une main sur son visage, la jeune sorcière passa ses doigts sur sa joue afin de faire disparaitre la larme qui y avait coulé au souvenir de cette après-midi de printemps. Le temps avait passé bien vite depuis ce jour la, et à la fois, ça lui semblait être une éternité. Tirant le journal qui était déplié sur la table face à elle, elle se rendit compte que le mois de Juillet était déjà bien entamé. Cela faisait maintenant plus de deux mois qu’elle était venu se cacher ici.

Quitter la Cour avait été difficile, elle s’y savait en sécurité plus que nulle part ailleurs, mais rester là bas, c’était prendre le risque de conduire les autres membres de son ordre dans un péril terrible qui était le sien propre, et si les autres acceptaient cela, s’était une responsabilité qu’elle ne voulait pas prendre. La Cour serait toujours là, elle le savait, mais elle avait décidé de prendre ses distances, d’affronter toute seule cette nouvelle épreuve.
Mais seule, pourchassée probablement par une cohorte de R+C avides de récupérer sa tête, et enceinte de surcroit, elle se sentait quelque peu dépassée par les évènements et par sa situation précaire. C’est alors qu’elle avait eu une idée, une idée un peu saugrenue, mais qui dans le fond se tenait : partir en Irlande à la recherche d’une partie de sa famille paternelle qu’elle ne connaissait que de nom. Le voyage jusqu’à l’île avait été complexe, contrainte de passer par des moyens de transport terrestre afin de brouiller sa piste. Après plusieurs jours d’angoisse et de doute, elle était arrivée, et contre toute attente, elle avait reçu ici un accueil comme elle n’en avait jamais espéré de la part d’une famille qu’elle connaissait somme toute si peu. On avait fait très vite comme si elle avait toujours habité là, comme si c’était normal au village, après tout, même si elle ne portait pas officiellement ce nom, elle appartenait à un clan émérite de la région qui avait depuis longtemps gagné les honneurs. En deux mois de planque, Anahia avait appris à aimer cet endroit, ce petit village perdu au milieu de nulle part. Elle avait apprit à aimer ces gens aussi, solides et coriaces comme les rochers des falaises près desquels ils habitaient. Elle avait aussi très vite appris et pris leur accent, incompréhensible même pour des anglophones.

Malgré la tiédeur de la pièce, la jeune femme fut parcouru d’un frisson et elle resserra autour d’elle le long manteau couleur émeraude qui cachait l’arrondit léger que son ventre avait pris. Puis, tendant la main, elle prit la tasse de thé qui se trouvait devant elle et en vida le contenu. Elle aurait donné beaucoup pour une bière, ou pour quoi que ce soit d’alcoolisé, mais aussi difficile que ça puisse paraitre, la jeune femme faisait très attention à elle depuis quelques temps.
Alors qu’elle reposait sa tasse, la porte d’entrée du pub s’ouvrit et une silhouette entra. Bien qu’elle n’en distinguait que les contours, elle reconnu tout de suite de qui il s’agissait. L’homme, car il s’agissait d’un homme, se dirigea vers le comptoir et serra la main du barman, ainsi que celle de la petite vieille courbée, puis celle de tous ceux qui étaient là, avant d’enfin venir la rejoindre dans le fond de la pièce. Tirant une chaise, il s’assit et sortit de sa poche une pipe en bois qu’il entreprit de nettoyer avec une petite tige de métal. L’homme était âgé, mais semblait encore vif. Son visage ridé était caché à moitié par une épaisse barbe blanche et d’épais sourcils broussailleux. Ses cheveux, plutôt longs, étaient attachés en une queue de cheval basse et coiffé d’une casquette comme tout le monde en portait ici. Même assis, il était grand, pas bien vouté pour son âge et assez mince malgré un petit ventre à bière. Son regard était d’une couleur indéfinissable, perçant. Lui aussi donnait l’impression de pouvoir lire dans les gens même à travers un mur en béton. Alors qu’il était en train de bourrer sa pire de tabac, le patron du pub lui apporta un verre remplit d’un liquide noir et peu mousseux. Le vieil homme lui fit un signe de tête pour le remercier, laissant le barman retourner à ses activités. Levant le verre à ses lèvres, il en but trois longues gorgées, et lorsqu’il le reposât, un peu de mousse beige resta dans ses moustaches, qu’il essuya du revers de la main.

« Bonsoir Myrrdin… » Murmura-t-elle avec un sourire un peu amusé.
« Ne m’appelle pas comme ça Ana ! On ne sait jamais, il peut y avoir des oreilles qui trainent… » Dit l’homme âgé d’un ton bourru comme s’ils étaient encore cinquante ans plus tôt et que des mots comme liberté, république, indépendance ou Sin Fein avait vraiment un sens. Sa voix était grave et profonde comme celle qu’on aurait donnée à un vieil arbre.
« Si tu veux… »

Anahia aimait beaucoup Myrrdin, bien que ce ne fût pas son nom de baptême. C’était lui qui l’avait accueillit avec sa femme dans leur petite maison au bord de la falaise, ici, si loin de tout. Ils lui avaient en peu de temps enseigné tout ce qu’il fallait savoir sur le coin, comment se fondre dans la masse. Ils lui avaient aussi parlé de quelques petits secrets de famille qui n’en était pas vraiment, comme s’ils avaient su que son temps passé chez eux ne serait que de courte durée.

« Alors tu es sure ? Tu pars ? Tu sais bien que nous… enfin Martha serait très heureuse si tu repoussais un peu ton départ. Bien sur tu ne peux pas rester ici pour toujours, mais au moins le temps que… enfin elle s’inquiète pour toi et pour le bébé. »

Anahia sourit. Elle savait qu’il avait fallut beaucoup de force à Myrrdin pour venir lui dire tout ça car il était de ces hommes qui parlent peu mais agissent beaucoup, des hommes fières mais un peu secret. Il avait été un homme d’action, une figure d’appel dans un pays à l’histoire complexe, même si aujourd’hui ça paraissait loin. Elle savait aussi que lui et sa femme s’étaient très vite habitués à sa présence, mais elle savait surtout que rester avec eux c’était les mettre en danger, et il n’y avait pas encore assez de distance entre elle et Rome.
Il se trouvait également que depuis qu’elle était sur l’île, et pour une raison qu’elle ne s’expliquait pas, les voix dans sa tête étaient plus fortes, plus compréhensibles, et elles lui soufflaient sans cesse de traverser l’océan au plus vite pour retourner sur la terre qui l’avait vu naitre. Quitter Myrrdin et Martha était un déchirement, car ils avaient été une transition merveilleuse dans ces états de doute, comme une fontaine d’eau fraiche sur un chemin de montagne.


« Oui, je dois partir… ça fait trop longtemps que je suis partie… » Dit-elle en regardant l’homme dans les yeux. Il lui parut alors qu’il avait l’air triste, plus vieux qu’il ne voulait d’ordinaire le laisser paraitre, plus fatigué. Il hocha la tête, comme s’il comprenait, et pinçant sa pipe entre ses lèvres, il sortit de la poche intérieure de sa veste un petit livre un peu jauni et corné. « Bien… alors tu auras surement besoin de ça… » Dit-il dans un murmure en faisant glisser le livre vers elle, tout en jetant un coup d’œil rapide autour de lui. Anahia se saisit du petit livre et le tourna vers elle. Il s’agissait d’un ancien recueil de légende d’ici, et au vue de son état, ça faisait pas mal de temps qu’il tournait. Mais alors qu’elle le prenait dans sa main, elle fut surprise de l’épaisseur. C’était comme si on avait caché quelque chose dedans. Comme si de rien n’était, elle l’ouvrit et vit alors un passeport au nom d’Ana O'Sullivan, nationalité irlandaise. Fermant le livre sur cette nouvelle identité, elle le glissa à son tour dans une poche intérieur de son grand manteau qu’elle rajusta, puis, soulevant la casquette qu’elle portait, elle passa ses doigts dans ses cheveux noirs coupés courts à la garçonne. C’était une des premières choses qu’elle avait faite en arrivant ici.

Se glissant le long de la banquette, elle se redressa tant bien que mal et fit un pas. Posant alors une main sur l’épaule du vieil homme, elle se pencha vers lui et posa un baiser sur sa joue barbue.


« Merci Grand-père » Murmura-t-elle à son oreille. L’homme ne la regarda pas, mais posa une main sur la sienne et la pressa quelques secondes. Oui, elle devait partir, même s’il lui coutait de quitter cette famille qu’elle avait trouvée. Se détachant doucement, elle se dirigea vers la sortie et quitta le pub, non sans avoir adressé un signe amical au patron et aux musiciens (et sans oublié le grand chien) et jeté un dernier regard à son grand-père qui restait dans son coin à fumer la pipe et à boire sa Guinness, comme si de rien n’était.
Le pub donnait sur une toute petite place, dans un tout petit village où personne ne venait jamais. C’était d’ailleurs pour cela que les révolutionnaires de la grande époque y avait planqué pas mal de choses (et de gens).
Une brise marine lui apporta les embruns de la mer, et bien qu’il fût désormais une heure avancée de la journée, elle eu envie d’aller se promener un peu jusqu’à Durquim Harbour. Alors fourrant ses mains dans ses poches, elle marcha. Il n’y avait personne sur le petit chemin de terre qui passait entre les champs aux hautes herbes vertes dansantes dans le vent puissant. Le long du sentier, un vieux muret de pierres moussu serpentait comme la colonne vertébrale d’un ancien dragon. Ici et là, des taches blanches – des moutons- ponctuaient le paysage grandiose qui s’ouvrait jusqu’à l’eau tourbillonnante qui frappait à chaque heure les falaises. Quittant le chemin, Anahia s’avança dans l’herbe de l’avancée qui allait jusqu’à la mer. Au-dessus d’elle, des nuages, immenses, tantôt blanc comme la neige au soleil, tantôt gris comme le désespoir, allaient avec le vent pour seul maître. Les mouettes et les cormorans dansaient dans les cieux dans un balai anarchique et périlleux, plongeant sans peur.
Alors qu’elle était arrivée au bout de la jetée de terre, elle leva les yeux vers l’horizon. Derrière les petites îles qu’on pouvait distinguer un jour aussi beau que celui-ci, il y avait l’océan, et de l’autre côté, chez elle, enfin ce qu’elle espérait être chez elle. Il y avait sa destination, là où elle le savait elle allait élever son enfant et vivre de nouvelles aventures, le plus loin possible de celles qu’elle avait déjà vécu.
Sortant les mains de ses poches, elle regarda quelques instants l’éclat bleuté de la bague qui se trouvait toujours à sa main gauche. Etait-ce à cause de la grossesse, ou était-ce son inconscient qui se refusait à l’enlever, mais elle eu du mal à la retirer de son doigt, et lorsqu’enfin elle l’eu enlevé, elle regarda avec détermination les eaux sombres qui s’étendaient à ses pieds.
Dans un cri qu’elle aurait souhaité plus libérateur, elle lança la bague vers la mer avec force et conviction. C’est tout du moins ce qu’elle avait cru faire, car il n’y eu aucun anneau volant dans les airs, il n’y eu aucun bruit de métal chaud tombant dans l’eau et s’enfonçant dans les profondeurs. Anahia fronça les sourcils et, le souffle court, elle chercha quelques instants des yeux la bague qu’elle avait pourtant lancée, elle en était sure. Peut être était-elle tombée dans l’herbe. Alors elle la chercha. Mais ce ne fut qu’au bout de plusieurs minutes qu’elle se rendit compte que la bague était toujours à son doigt. L’avait-elle vraiment enlevée ? L’avait-elle remise à son doigt sans s’en apercevoir ? La bague était-elle revenue toute seule ?
Elle était incapable de répondre à ça, mais elle regardait à présent sa main avec un mélange de dégoût et de questionnement. Ce qui allait arriver, elle n’en savait rien, mais une chose était sur, c’est que quoi qu’elle puisse faire ou essayer de faire, elle n’en avait pas encore fini avec cette sombre fable.




Dernière édition par Anahia Tal'ahjon le 21.05.18 11:39, édité 1 fois
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Armand R Altaïr
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MessageSujet: Re: Voir Venise...et mourir - ft Armand   Voir Venise...et mourir - ft Armand Empty17.05.18 16:42


   

Voir Venise et mourir




Guido Votelli cessa de faire les cents pas pour se laisser tomber dans son fauteuil. Son bureau était un endroit silencieux, propice au travail. Et pourtant il était tout simplement  incapable de profiter de ce calme pour étudier. Son esprit était bouleversé au delà des mots. Si seulement les choses avaient continuées de suivre leur cours normal. Il donnerait tout pour passer la tête par la porte mitoyenne, et voir Raphaël attablé à son propre bureau. Il relèverait la tête, avec cet air déboussolé qu'il avait quand on le tirait de sa lecture, et demanderait « Tout va bien mon oncle ? Avez vous besoin de quelque chose ? ». C'était comme ça que la nature l'avait faite après tout, avec une innocence et une gentillesse incroyable. Accablé, Guido essayait de réfléchir à comment la situation avait elle bien pu déraper. Il n'avait rien vu venir, aucun signe avant coureur. Lui qui était persuadé de lire dans le cœur de son novice comme dans un livre ouvert, lui qui était content de lui avoir attribué un bureau en enfilade pour pouvoir le surveiller à sa guise. Comment avait il pu se montrer aussi aveugle ? Il savait que le gamin était un sentimental, et que les histoires d'amour avaient toujours causées chez lui de grands bouleversements. Sans doute avait il sous estimé son courage et sa détermination. Il n'avait pas comprit que par amour il était capable de soulever des montagnes. Ça avait été une grave erreur que de le penser fragile, tout comme de le croire responsable.

Après tout il était encore très jeune. Son érudition et ses manières faisaient souvent oublier son âge. Pour beaucoup de choses il s'était révélé précoce, mais sur le terrain des sentiments il était incroyablement romantique et immature. Il avait cette détermination à aller dans les extrêmes et à se jeter vivant dans les flammes. Ce n'était pas un trait de caractère qui plaisait énormément à son oncle, et à ce sujet il le corrigeait à chaque occasion, oubliant parfois qu'il s'adressait à quelqu'un qui n'avait pas son âge. Lui le temps l'avaient forgé, jusqu'à lui donner ce caractère placide et sage qu'on lui connaissait aujourd'hui. Et même si ça lui faisait mal de l'admettre, il n'avait pas toujours été ainsi, alors c'était tout bonnement ridicule d'exiger de son élève autant de maturité.

Et pourtant, même si Guido Votelli avait lui aussi eut vingt cinq ans un jour, jamais dans son souvenir il ne s'était montré aussi nonchalant. Parfois Raphaël agissait de façon incroyablement stupide, surtout quand il était animé par son ego ou par ses sentiments démesurément ridicules. Il fallait être là pour le ramener à la raison, le calmer ou le rassurer. C'était extrêmement épuisant d'agir comme interface avec la réalité pour un gamin mal dans sa peau. Et il était déjà arrivé que Guido ait envie de jeter l'éponge. Combien de fois avait il eut envie de le mettre dans le prochain train et de le renvoyer à sa mère ? Aujourd'hui ça allait mieux, mais les début de leur relation avaient été franchement chaotique. Le petit passait son temps à pleurer comme un enfant, réclamant sans cesse de l'affection. Guido avait été mis au courant de la situation compliquée qui s'était passé dans leur famille, et c'est la raison pour laquelle il avait promis à sa sœur de prendre soin de son fils. Sans doute était ce aussi pour s'opposer à son mari. Il détestait cet homme, sa petite sœur s'était clairement mariée avec un con, et par esprit d'opposition il avait prit le parti du gamin. D'ailleurs ce gosse c'était à peine s'il le connaissait. Il se rappelait vaguement avoir été invité au baptême, à moins que ses souvenirs se confondent avec ceux de la naissance de Francesco, le cadet. Puis il l'avait sûrement vu quelques fois dans des occasions familiales. Il arrivait toujours à esquiver les invitations de sa sœur avec beaucoup de talent. L'idée de se retrouver coincé dans leur domaine avec son atroce mari pendant plusieurs jours était juste inenvisageable. Sa vie était à Rome, et il devait bien avouer que depuis qu'il avait reçu sa charge de cardinal, il avait une excuse en or pour se montrer absent. En revanche ce n'était pas un mensonge que de dire qu'il était véritablement accablé de travail.

Repensant à sa sœur, il sentit la culpabilité l'étouffer. Qu'est ce que Lisa dirait si elle apprenait que son garçon avait essayé de se tuer ? Dès qu'il eut mit Raphaël en sécurité, il fut très clair avec lui à ce sujet. Il ne fallait absolument plus jamais évoquer ça. Il avait été triste, aux confins de la tristesse même, mais aucune situation n'était suffisamment désespérée pour devoir de donner la mort. Depuis cette discussion il le gardait à l’œil, et quand son sommeil était trop agité de cauchemars, il se levait pour vérifier qu'il dormait.

Et pourtant sur ce coup là il avait le sentiment de lui avoir mentit. Devant lui il minimisait la situation, lui assurant que tout irait pour le mieux et qu'au final il ne lui arriverait rien. Il avait suffisamment d'aplomb pour réussir à lui faire croire que tout était sous contrôle, et qu'il pouvait se reposer sur lui. Mais dans son fort intérieur Guido Votelli était tout simplement terrifié. De cette histoire découlait des conséquences absolument dramatiques. Il ne s'agissait pas juste de son neveux ou de son nom qui seraient traînés dans la boue, il y avait également la loge. La complexité et l'hermétisme de leur hiérarchie ne lui était pas totalement familière, mais il en savait assez à ce sujet pour savoir que si Altaïr coulait, tout le monde serait entraîné dans sa chute. Il essayait également de ne pas trop penser à son sort. Déjà parce que les différentes perspectives étaient toutes terrifiantes, et parce que parfois son discipline le sondait du regard. Il venait chercher chez lui quelque image rassurante, et il de devait de lui cacher que dans son fort intérieur ne vivait qu'une peur paralysante.

Les yeux rivés sur sa montre, Votelli affichait un calme froid. Devant lui se trouvait une lettre, une lettre qu'il n'aurait jamais souhaité recevoir. Elle était adressé à Armand, mais pour rien au monde il ne lui aurait donné à lire. Elle était arrivée dès leur retour à Rome, et il avait du user d'ingéniosité pour mettre la main dessus avant son disciple. L'enveloppe était ourlée de noir, et frappé du sceau de l'Inquisition. Enfin, c'est un des noms qu'on leur donnait parmi les plus courant. Il s'agissait en vérité de la police secrète, les yeux et les oreilles de la foi. Même si Armand n'avait parlé à personne de sa virée à Venise, il aurait été idiot de croire qu'ils allaient pouvoir garder cela secret. Guido s'en doutait, et il partait dans l'idée qu'ils savaient absolument tout, et même sans doute bien plus qu'eux.

La gorge serrée, il faisait tourner l'enveloppe dans ses mains gantées de rouge. Ces gens là étaient incapable de reconnaître un innocent, ils jugeaient des faits, et il faut bien avouer que quand on en dressait la liste, Armand avait tout les tords. Les chefs d'accusations n'étaient pas communiqués sur la convocation qui restait très sommaire, mais Guido arrivait à imaginer sans mal à quel point ils seraient accablants. Armand était assigné au Tribunal Secret, mais ça bien sur son oncle s'était bien gardé de lui dire. Il était hors de question qu'il accepte de se rendre là bas. C'était l'évidence même, à la seconde où ils l'approcheraient il serait perdu. Jamais il ne quitterait le Tribunal vivant, son sort était scellé dès l'instant où il avait reçu cette lettre. Mais ça c'était quelque chose qu'il refusait d'admettre. Sans doute perdraient ils cette bataille, mais il était hors de question qu'il s'associe à ce crime et leur livre docilement son élève. Trop d'implications entraient en jeu, mais rien que pour l'avenir de leur loge il ne pouvait se résoudre à ce sacrifice. Quand à ses propres sentiments, il lui était impossible de se résoudre à abandonner son garçon à un sort pire que la mort. Même s'il lui semblait insupportable la plupart du temps, il avait fini par l'accepter et à lui donner la place d'un fils dans son cœur.

C'était les raisons pour lesquels il attendait, seul assis à son bureau, que l'on vienne le chercher. Armand avait été envoyé en sécurité dans un endroit secret, c'était à lui de prendre ses responsabilités de d'affronter le tribunal. Les aiguilles de sa montre produisirent un déclic. Ils viendraient, bientôt. Ils apparaissaient toujours à la dernière seconde du dernier instant. Nouveau déclic, et le son se fit étouffé. La pièce sembla perdre lentement de la luminosité, et Guido eut la sagesse de ne pas bouger pour éviter tout vertige. S'il se levait maintenant, sans doute serait il incapable de soutenir l'atroce illusion qui corrompait l'espace autour de lui. Les couleurs chaudes prirent aussitôt une teinte mauve, et la pourpre de son manteau sembla étrangement bleu. L'air ondulait, déformant les lignes droite des bibliothèques. Puis apparurent, sortant des ombres, deux silhouettes noires dont le visage restait inconnu. Malgré son expression parfaitement stoïque, le cardinal ressentit un frisson désagréable lui traverser la moelle épinière. L'espace distordu donnait à ces créatures des contours flous, mais Guido distinguait parfaitement les trousseaux de clefs qui pendaient à leurs ceintures, se détachant sur le noir de leurs bures comme la lune en pleine nuit.


« Je vous attendais maîtres Djeds. »

Sa voix se fit forte et affirmée, troublant le silence de l'apparition. Les figures noires ne répondirent rien. Ils savaient, ils savaient qu'Armand était caché dans un lieu qu'ils ne pouvaient atteindre. Bien sur qu'ils savaient, ils savaient tout depuis le début. Le cardinal se leva, et d'un pas lent rejoignit les deux créatures. Se tenir aussi proche d'êtres aussi anormaux était tout simplement terrifiant, mais ça il n'aurait été prêt à l'admettre pour rien au monde. Ces deux là avaient la charge de geôliers, mais de ce qu'il en savait il en existait des dizaines d'autres avec des tâches toutes plus sinistres les unes que les autres.

Observant celui qui était à la périphérie de son regard, Guido réalisa quelque chose qui manqua de lui faire perdre ses moyens. Ils savaient à quel point il était terrifié. Il n'avait eut aucun mal à duper Armand par son attitude assurée, mais eux ils savaient tout. Se remettant à son sort avec courage, il laissa les deux créatures noires l'emporter vers leur bastion.

C'était une impression familière pour un kabbaliste, comme si chaque parcelle de son corps devenait de la fumée, et que le vent emportait cette fumée. Loin à travers les mondes, glissant sur la trame du temps. Il eut la vision d'un ciel déchiré de rose et de jaune, comme un matin où les nuages se divisent en longs filaments, et où les cieux s'embrasent à la fureur des anges. Un pont se déroulait devant ses pieds, reliant ensemble deux réalités qui d'ordinaire ne se côtoyaient pas. Et au loin, colossal et monstrueux, un fortin immense ourlé de remparts insurmontables, était posé dans l'espace comme un crabe sur le dos d'une roche. C'était la première fois que le cardinal avait la possibilité de voir ce monde de ses yeux, mais les témoignages qui peuplaient la littérature hermétique lui semblèrent d'un coup très en deçà de la vérité.  Ce lieu abritait tant de puissance qu'il allait jusqu'à traverser la trame des mondes, répercutant des échos à travers les multiples réalités. Suivant docilement les geôliers d'un pas lent, le cardinal eut soudain l'impression que la peur avait anesthésiée sa capacité de réflexion. Et s'il était incapable de défendre son élève devant le Tribunal ? Et s'il était incapable de défendre jusqu'à sa propre peau ? Après tout son crime avait été de refuser de leur céder ce qu'ils avaient pourtant clairement exigés. Chaque pas sur le pont lui apparu infiniment difficile. Entouré des deux créatures, il osait à peine laisser ses yeux se poser sur les statues d'or qui entouraient la voie. Des anges, des centaines d'anges monumentaux qui affichaient à la fois un sourire doux et un glaive vengeur. Une terreur sourde le fit ralentir au fur et à mesure qu'ils s'approchaient du rempart. La masse étouffante de la pierre menaçait de lui faire perdre tout ses moyens, l'ensevelissant petit à petit dans une complète déraison.

N'osant pas se retourner, il continua sa route. Sitôt la porte passée, il réalisa qu'ils n'étaient plus seuls. D'autres de ces créatures semblaient comme sorties de la muraille. Sans doute étaient elles déjà présentes sur le pont, mais il ne les avait pas vues. Elles avaient la capacité de se faire oublier ou remarquer, et quand cela arrivait elles vous saisissaient d'effroi. Les Djeds étaient de redoutables espions. Personne ne savait rien sur eux, si ce n'est qu'ils pouvaient adopter des visages humains, et les changer à leur gré. Il était impossible de les identifier, ce qui obligeait à se méfier de tout le monde. Mais quand ils se présentaient sous cette apparence sinistre de moine noire, c'est qu'ils tenaient à être reconnus.

Toujours plus nombreuses, les créatures se rassemblaient dans son sillage, et c'est un véritable cortège qui franchit les portes du Tribunal Secret. Sous les voûtes baroques, il découvrit une tribune dans laquelle attendaient des juges impassibles aux visages inexistants. La toile pourpre qui marquait son rang bruissait à chaque pas, brisant le silence de l'assemblée. Se positionnant de son plein chef à une place qui lui semblait être celle de l'accusé, il prit sa respiration et choisi de prendre la parole en premier.


« Le Cardinal Votelli présente ses respects les plus humbles à cette honorable et millénaire assemblée. Je suis venu à vous pour parler du prêtre Altaïr, dont la nature humaine à été corrompu d'une terrible façon. Comme pour nous rappeler que nul n'est à l'abri de la débauche et du mal, il n'existe pas d'être mieux façonné par Dieu pour la charge qu'il lui a confié. Et c'est en cela qu'il fut soumis à une épreuve comme celle qui révèlent les saints. La tentation se présenta sous la forme d'une femme, sorcière de son état et impie de nature. Avec un beau visage et des dehors appétant destinés à charmer tout homme sain de corps et d'esprit. S'il ne s'était agit que d'une amoureuse, l'affaire aurait été facile à dénouer. Mais elle n'a rien d'humain, et j'ignore quel homme aurait pu échapper à son piège. Je l'ai déjà vu, je peux l'affirmer. Son masque souriant lui sert à cacher une nature corrompue, une sorcière juive usant de magie d'origine démoniaque pour vicier l'homme par la chaire. Elle est entrée dans Rome est s'est glissée auprès d'une âme chrétienne comme un serpent dans un couffin. Je le dis sans faiblir car cela est la vérité. Elle l'a séduite, empoissonnée avec des sortilège et dénaturé l'innocence de son être. J'ai des preuves que de la magie satanique a été utilisée contre lui. La pureté et l'innocence de sa nature n'ont pas suffit à repousser le mal. La fragilité de sa personnalité fait qu'il a en lui une faille presque féminine. Et à mon sens c'est son manque de force et de caractère qui lui ont fait baisser sa garde. Il est mon disciple, et un jeune exorciste en formation. Il a beau connaître les ressorts du mal, il a manqué de prudence, et pour cela  je suis le seul coupable. Le jeune Altaïr est mon élève depuis plusieurs années, et s'il n'a pas été capable d'identifier la nature abjecte de cette créature, c'est du à un manquement dans l'éducation que je lui ai inculqué. Je suis responsable de ses actes autant que des miens, car moi non plus je n'ai pas su voir le mal s'approcher de lui, ni réussi à le protéger de son emprise. La faute est entièrement mienne. La magie noire mise en œuvre dans cette affaire dépasse mes compétences, et je réclame l'assignation des responsables de cette attaque devant ce Tribunal sacré. Je demande à ce que chacune des loges mises sous le régime de la fraternité élise un représentant, dans le but de constituer une assemblée consacrée à étudier cette affaire. Ce cas n'a rien à voir avec un jeune novice ayant fait quelques écarts de morale, il s'agit d'une attaque et nous demandons à être dédommagés. Je demande la permission d'enquêter au nom de ma loge, et je n'aurai de repos que lorsque je trouverai quelle faction juive à brisée nos accords. Le Bareket de Salomon a ressurgit d'entre les âges, et à été à nouveau volé. Je veux savoir quelle cabale a envoyé un agent pour manipuler un de nos hommes. La Clavicule appartient à la Rose Croix, et il est temps qu'elle revienne en notre possession. Il n'est pas question que des dissidents juifs se permettent de briser nos accords et de nous manquer de respect. J'en appelle à l'assemblée silencieuse des piliers Djeds, ayez pitié de notre mauvaise fortune et prenez position en notre faveur. Je demande réparation pour l'outrage qui a été fait au successeur de ma maison, et je réclame vengeance au nom de tous les chrétiens qui servent Dieu sous la bannière de la Rose. Le Bareket est nôtre ! La tête de la sorcière est nôtre, elle est toute sa cohorte d'hérétiques qui ont osés se moquer du véritable nom de Dieu. ».

---


Loin sur les hauteurs de la colline vaticane, la nuit commençait à fraîchir. La joue appuyée contre le carreau, le prêtre Marcello observait placidement la cour pavée qui s’étendait plus bas.

« Et dire que je lui ai prêté un de mes appartements pour loger cette espèce de putain... »

Sans doute que cette remarque était destinée à Diodoro qui venait d'entrer dans la pièce. Un peu agacé, il haussa les épaules. Au dessus de leurs têtes de déroulaient les fresques classiques du luxueux appartement de Votelli.


« Ce n'est pas la peine d'insister sur ces détails. »

Marcello fit volte face, visiblement courroucé.


« Tu ne te rend pas compte de ce que ça rapporte le Air bnb ! »

Diodoro choisi de l'ignorer, et se laissa tomber dans un canapé. Puis il ajusta sa ceinture rouge qui lui serrait la poitrine de façon inconfortable. Les deux hommes portaient leur habit de loge, signe évident qu'ils étaient prêt à en découdre si la situation tournait à l'affrontement. Mais heureusement pour l'instant tout était calme.


« Comment va t il ? » Fini par souffler Marcello après un long silence. Diodoro qui était en train de consulter ses messages sur son portable ne releva même pas les yeux.

« Son état s'est stabilisé, il a cessé de s'agiter. »

Visiblement mal à l'aise, Marcello frissonna.

« J'aime pas quand ça arrive, j'ai toujours l'impression qu'il est en train de faire une attaque. »

« … ce n'est pas à ça que ressemble une personne qui fait une attaque Marcello. »

« Oui ben excuse moi de ne pas avoir envie d'être confronté à ça... »

Diodoro fini par lever les yeux au ciel. Tu parles d'un exorciste, dans les situations de crises Marcello arrivait à garder le cœur bien accroché, mais dès que la pression retombait il perdait tout ses moyens. Lui n'avait aucun problème à gérer son calme. Il avait été médecin missionnaire en Inde pendant longtemps, et il en avait clairement vu de toutes les couleurs.
Une alarme sonna sur son téléphone, faisant sursauter Marcello, visiblement de mauvaise humeur.


« C'est quoi ça encore ? »

Diodoro ne répondit pas, retirant précautionneusement l'emballage en papier d'une seringue stérile qui était posé sur le bureau parmi tout un tas de matériel médical. Marcello blêmit.


« Mais arrête de le piquer enfin ! »

« Tu veux le faire ? » Répondit il, franchement malicieux.

« Certainement pas ! »

Diodoro s'éclipsa dans une pièce à l'autre bout d'un couloir, et au bout d'une bonne minute Marcello finit par le rejoindre. La chambre était plongée dans la pénombre, seule une veilleuse éclairait faiblement, faisant courir sur les murs des ombres étendues. Le corps inerte d'Armand reposait au milieu du lit dans son habit de loge, et Diodoro se trouvait à son chevet. Il avait fini de lui faire l'injection, mais même comme ça Marcello n'osait pas s'avancer. La pièce était baignée d'une atmosphère glauque qu'il avait du mal à supporter.


« On dirait qu'on veille un mort... »

« Si c'était le cas j'espère que tu serais en train de lui donner les sacrements au lieu de te plaindre. »

Mouché, le prêtre allait l'envoyer proprement chier avec une insulte de son cru, quand la poitrine d'Armand se gonfla fortement, soulevant le crucifix d'or qu'on lui avait posé sur le plexus. Il avait prit une longue inspiration de façon soudaine, brisant l'apparence de calme que lui donnait l'inconscience.


« Tu as vu ?! C'est normal qu'il fasse ça ? »

« Ça arrive. » Diodoro prit son pouls, et écouta plus attentivement sa respiration. « Il est en état de stress, tant que ça ne vire pas à la crise d'angoisse tout va bien. »

Très inquiet, Marcello se rapprocha du lit et s'assit sur un coin du matelas. Leur ami semblait en proie à un sommeil plein de cauchemars. Depuis qu'il avait intégré leur congrégation, le petit s'était révélé extrêmement doué pour l'étude des visions. Lui même était juste son exacte opposé, et son tempérament terre à terre ne se prêtait pas bien au relâchement et à la méditation. Lui en général finissait par s'endormir, alors qu'Armand en revanche semblait voguer dans des mondes incroyables.


« Qu'est ce qu'il voit à ton avis ? » Chuchota Marcello.

Son ami qui lui avait parfaitement conscience qu'ils pouvaient s'exprimer à pleine voix, lui répondit à un volume normal.


« Ça, il n'y a que lui qui pourrait nous le dire. »

« … J'ai cru comprendre que c'était ça qui le rendait différent de nous, enfin dans notre fraternité. »

Diodoro soupira et choisi bien ses mots pour répondre.


« En effet, il a un rôle à part. Quand à ce que tu ne sais pas, ce n'est pas à moi de te l'apprendre. »

La curiosité attisé, Marcello se mit à réfléchir. La hiérarchie dans leur ordre était extrêmement compliquée, et il n'y avait personne qui pouvait se vanter d'avoir connaissance de toutes les ficelles. Le savoir était réparti par grade et par palier, de façon totalement indépendante de l'âge et des responsabilités. Ce qui faussait la donne sur beaucoup de point. Lui même ne savait pas trop où se situer. Il avait cru comprendre au début qu'Armand était d'un rang en dessous de lui, pour la simple et bonne raison qu'il était le dernier arrivé. En fait les choses étaient bien plus compliquées que ça.
Son regard glissa jusqu'à la main de son ami inconscient qui avait glissé le long de son corps. Il tenait entre les draps un objet. Tirant légèrement la couverture, il découvrit qu'il s'agissait d'une petite lampe à huile en terre cuite.


« Je t'en prie fait comme chez toi ! » Le réprimanda Diodoro en remontant le draps un peu plus haut. Marcello lui avait les yeux brillants.

« C'était quoi ? »

« Si tu ne le sais pas c'est que tu n'es pas censé le savoir. »

Affichant un petit sourire malin, Marcello toisa son ami.


« C'est une lampe à huile ? »

« Peut être pas. »

« Si c'est ça, je l'ai vu ! »

Diodoro esquissa un sourire mystérieux, et posa sa main sur le front d'Armand qui gémissait péniblement. Quand à son ami, il réfléchissait à toute vitesse aux implications de ce qu'il avait vu. Il avait le sentiment d'avoir mis le doigt sur un grand mystère.


« … Maintenant que j'y pense j'ai déjà entendu le terme Lucerna dans certaines incantations. Pourtant je croyais que son titre c'était Cancelliere ? »

« Cancelliere c'est très informel. »

« … Tu veux dire que c'est comme si je l'appelais Mec depuis toutes ces années ? »

Diodoro éclata de rire et ajouta sur un air de confidence :

« Si tu veux apprendre autre chose ce soir, je te conseil de retourner à la fenêtre en direction du sud ouest et de  guetter quelque chose d'inhabituel dans le ciel. »

« ...C'est tout ce que tu as trouvé pour me mettre à la porte ? »

« Peut être. » Lâcha t il, avec un grand sourire moqueur avant de se radoucir. « Ne t'en fais pas, je surveille qu'il ne lui arrive rien. »

---


Une odeur d'humidité lourde lui brûlait la poitrine, et pour éviter d'étouffer Armand prit une grand inspiration. L'air était comme chargé d'eau, et il avait constamment l'impression de se noyer. Un étrange bourdonnement résonnait dans ses oreilles, assourdissant au point de lui déclencher une migraine insupportable. Plissant les yeux, il réalisa que tout son corps était douloureux. Il tentait de se relever, mais le sol se dérobait sous lui avait fracas. L'exorciste tenta de hurler, mais son cri resta coincé dans sa gorge. Il était prisonnier de l'obscurité, tétanisé par la peur. Un froid mordant le fit frissonner. C'était comme si un courant d'air était venu s'infiltrer entre ses os. Se relevant maladroitement, il agrippa une parois en pierre. La maçonnerie était détrempée, couverte d'une fine moisissure glissante. La chose était écœurante, mais il était tellement désespéré qu'il se plaqua de toutes ses forces contre le mur. Toussant et crachant, il se demanda s'il avait avalé cette eau sale. Un arrière goût salé lui donnait envie de vomir, confirmant sans doute cette possibilité.

Reprenant un peu ses esprits, il passa sa main à sa ceinture rouge brodée de roses. Sur le passant qui maintenait sa taille, était accroché un petit objet. Il s'agissait d'une petite lampe en terre cuite, décorée d'un chrisme. La pièce était de tout évidence antique, à la fois très modeste et très belle. Il souffla un mot, et une flamme s'alluma, diffusant une lumière rassurante. Les ombres s'étiraient autour de lui à la façon de fantômes chassés par la flamme. La soulevant à hauteur des yeux, Armand reprit courage et s'orienta dans l'espace. Un peu plus loin se trouvait un escalier qui montait dans les hauteurs. Il se fraya un chemin en protégeant la flamme des gouttes d'eau qui ruisselaient contre la parois, et souffla de soulagement une fois sur la première marche.

Il y avait dans l'air une odeur de sel et d'algue, et au fur et à mesure qu'il gravissait l'escalier, il était saisi par un vent marin qui lui glaçait les os. Rabattant son capuchon sur son visage, il remarqua bien vite que le mur poisseux changeait d'aspect. La pierre était de moins en moins humide, et des petites niches apparaissaient ça et là. Certaines étaient scellé avec du mortier, parfois décoré d'inscriptions. D'autres étaient vides, laissant voir un espace peu profond. Et certaines encore était habitées, son cœur se mit à chavirer quand il remarqua ce qui lui semblait être des ossements. Leurs tailles étaient étrangement familières, et il lui suffit de voir un crâne pour comprendre qu'il s'agissait d'êtres humains. Au début terrifié de voir la lumière de sa lampe glisser sur les os blanc séchés par le vent, il fini par prendre sur lui. La mort était présente tout autour de lui, parfois de façon plus ou moins crue. L'escalier qui montait en colimaçon l'obligeait à passer près de chaque niche.

Il n'était jamais venu ici, car même s'il connaissait l'existence de cet endroit, il pensait qu'il s'agissait d'une métaphore. Mais son oncle lui avait demandé de revoir les textes et d'insister pour s'y rendre par l'esprit. Ici il était en sécurité, pour la simple et bonne raison que lui seul avait accès à ce lieu sacré.

En revanche son imagination ne cessait de vagabonder, et alors qu'il s'arrêtait pour reprendre son souffle, il se mit à repenser à Venise. Et dire qu'il avait faillit se foutre en l'air. Supporter les souffrance de la noyade et ensuite ? Son oncle obligé de venir identifier son corps bouffit par l'eau, sa mère accablée, et lui qui finirait ici, dans cet endroit horrible. C'était un savoir difficile que lui avait enseigné les méditations, mais il ne pouvait pas se dérober à son sort. C'était ici qu'il reposerait, comme tout les frères de leur loge depuis les temps immémoriaux. Bien sur qu'il aurait préféré qu'il en soit autrement, mais il n'avait pas son mot à dire à ce sujet. Reprenant son ascension, il se mit à lire pour essayer de chasser son chagrin. Certains épitaphes trouvaient leur écho dans ses lectures, et les défunt se faisaient de plus en plus récent au fur et à mesure qu'il montait. Il réalisa alors qu'il était bien loin du sommet. Tout ces os blanchit tassés dans des alcôves avaient autrefois été des hommes, des religieux comme lui qui avaient portés la bannière de la Rose. Certains avaient été alchimistes, d'autres astronomes, poètes ou théologiens. Tous avaient été inspirés par Christ et la Science. La frayeur passée, Armand réalisé à quel point il était privilégié de se trouvé au milieu de ce panthéon de figures antiques et prestigieuses. Certains de ces ancêtres avaient des noms qui avaient marqués l'Histoire, d'autres n'avaient laissés leur trace que dans les Hermétismes les plus sombres. Beaucoup s'étaient évaporés de la connaissance actuelle.

Déchiffrant la formule grec d'une épitaphe qui lui sembla fameux, Armand se sentit submergé d'émotion. Il regarda le tas d'ossements avec une certaine dévotion, sans bien sur aller jusqu'à les toucher. Il remarqua un os long, probablement un tibias, sur lequel était profondément gravé une série de mots. Un peu choqué, il poussa son observation plus loin. D'autres mots apparaissaient sur les autres, et sur le crâne il déchiffrait une formulation latine incomplète, recouverte en partie de peinture rouge comme celle qui servait aux enluminures. Paniqué, il regarda dans une autre niche voir si cela était également le cas. Les inscriptions étaient plus discrètes, mais certaines lettres étaient lisibles. Une bourrasque de vent souffla dans son dos, plaquant sa toge mouillée contre ses jambes. Chacun de ces hommes portaient des fragments de textes, plus ou moins lisibles, et cela dans une grande variété de langages anciennes et pour la plupart codés.

S'appuyant contre le mur, il reprit son souffle, réchauffant sa main à la flamme de sa lampe. Combien de savants hommes reposaient ici ? Il se rappela une de ces prières Rose Croix qu'il récitait en psalmodiant, jusqu'alors incapable d'en comprendre le sens en entier. Ils juraient d'être au service de la connaissance, et les produits de leurs études ils souhaitaient les mettre au profit de la communauté, maintenant et pour ceux qui viendraient les visiter milles siècles plus tard. Le savoir dans les livres, le savoir dans la tombe. Les termes livres vivants et manuscrits vivants apparaissaient de temps en temps. Il pensait naïvement que c'était une façon de parler des érudits. Mais alors que toutes les pièces du puzzle s'imbriquaient, il glissait dans l'angoisse. La couverture, parfois appelée écrin, unique pour chacun d'entre eux. Il ne pouvait que s'agit des dessins qui apparaissaient sur leurs poitrines. Il avait reçu des roses sur les épaules le jour de son intronisation, et quelques années après d'autres motifs les avaient rejoints. Il pensait qu'il en était de même pour tout le monde, mais une fois où il avait partagé un cellule avec Diodoro il avait remarqué que les dessins que laissaient apparaître son tee shirt n'avaient rien de semblables aux siens.  

Alors ces textes fragmentaires sur la surface de l'os ? Il su d'instinct qu'il n'avait pas le droit d'en toucher un pour le lire. Les connaissances les plus secrètes de leur faction étaient réuni ici, dans cette immense bibliothèque battue par le vent. Quand à lui il était le seul à avoir le droit d'entrer dans ce gigantesque ossuaire de son vivant. Son rôle tombait sous le sens. Il devait garder et protéger les livres. Ils étaient la mémoire de glorieux sorciers, des savants qui avaient menés leur ordre sur le chemin de la Vérité.

La flamme vacilla et il su qu'il devait continuer son ascension. Cette fois il n'avait plus peur des ossements secs, du vent qui le collait contre le parois, du vide brutal qui s'enfonçait dans les ténèbres près de lui. Il était en paix, car il prenait conscience de la tâche qu'on lui avait confié. Cela aurait été un véritable gâchis de se jeter dans le Grand Canal, alors qu'il avait tant à apporter au monde. Il était un livre vivant, comme tout ses frères, mais lui portait en plus la charge de veiller sur eux. Peut importe ce qui allait arriver, peut importe à quel point le ciel était sombre, il fallait protéger cette bibliothèque des périls de l'Histoire.

L'escalier prit fin, ouvrant sur une terrasse battue par les vents. L'air marin était plus fort que jamais, et même s'il ne voyait rien, il imaginait se trouver sur une côte battue par la tempête. Pourtant il n'y avait aucun son de vague, et même ce vent il n'était pas sur de l'entendre vraiment siffler. Le silence de l'espace, et tout autour de lui une étendue d'une noir d'encre, ponctués de myriades d'étoiles. Le ciel était sublime, hostile mais incroyablement beau. Guidé par sa lumière, il vit un autel de pierre au centre de la terrasse, et au dessus une immense lampe de bronze décorée d'arabesques. Armand les observa un moment. Une sublime calligraphie se déroulaient entre les enluminures, et il fit appel  à sa mémoire pour se rappeler de ses quelques rudiments d'arabe. Son doigt glissait sur chaque courbe, et une lettre après l'autre il murmura le nom de l'étoile sous laquelle il avait eut le malheur de naître. Il y avait une odeur d'huile, et il  fit descendre la chaîne pour l'amener à sa hauteur, puis l'alluma. Un brasier s'alluma dans le bassin, les flammes courant sur la surface de l'huile. Il remit la lampe en place et fut saisi de lumière et de chaleur.

Au milieu d'un océan d'étoiles éclairait un phare, une lumière qui rayonnait dans la nuit comme un véritable soleil. Un astre nouveau venait d’apparaître sur la toile pâle au dessus de Rome, pulsant au même rythme qu'un cœur humain. Et à celui qui savait comprendre, tant de messages étaient dévoilés. Les compagnons seraient réconfortés, car ils lisaient dans le ciel qu'une présence amicale veillerait sur eux à jamais. Les ennemis voyaient dans cette étoile le signe de leur infortune. Une flamme embrasant le ciel, annonciatrice des batailles à venir.

Les yeux perdu dans cet océan stellaire, Armand commençait à comprendre que depuis toujours, Dieu avait eut des plans pour lui.


Dernière édition par Armand R Altaïr le 03.08.18 9:26, édité 1 fois
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Anahia Tal'ahjon
Anahia Tal'ahjon

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ϟ Métier : Professeur de divination à l'école de Magie d'Ilvermorny ϟ Âge : 38 ans ϟ Race et sang : sorcière Mohawks ϟ Particularité : voyance ϟ Statut civil : Mère célibataire

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MessageSujet: Re: Voir Venise...et mourir - ft Armand   Voir Venise...et mourir - ft Armand Empty06.06.18 12:18


Voir Venise...et mourir
Sirat al Bunduqyyiah



Musique:

Anahia ouvrit les yeux, doucement, comme on le fait après un long sommeil dont il est difficile de sortir. Mais immédiatement elle les referma, incapable de supporter la lumière aveuglante tout autour d’elle. Durant quelques instants, des paillettes dansèrent dans ses yeux clos, dans un halo rougeâtre des rayons passant à travers la chaire.
Puis, s’habituant lentement à l’éclat du soleil dans lequel elle baignait, elle pu enfin regarder le paysage qui se décrivait autour d’elle.
La tête posée sur le dossier d’un vieux fauteuil en osier, elle balaya la scène, s’attardant sur chaque détail, comme un aveugle qui soudain retrouve la vue et découvre chaque élément du monde, chaque forme, chaque couleur pour la première fois.

Au-delà de la terrasse où elle était installée, tout était blanc. Blanc du blanc immaculé de la neige, pure, terrible, impitoyable. La neige était partout, recouvrant tout d’une épaisse couche cotonneuse, comme un matelas où il aurait été agréable de s’étendre une dernière fois. Le sol, vert au printemps et en été, rouge des feuilles d’érables en automne, n’était plus que cette mer blanche et dangereuse où des pistes se formaient à chaque passage. A quelques pas, on pouvait apercevoir les traces d’un lapin qui avait du passer avant le lever du jour. Les buissons et les bosquets étaient nus, sans la moindre feuille pour les parer. Leurs branches sombres et mortes ployaient sous le poids les monceaux de glace et de neige agglutinés. Les arbres étaient identiques aux buissons, et ils se dressaient comme des flèches tendues vers le ciel. Que ce fut les érables sans feuilles ou les sapins encore en manteau, ils étaient tous couvert du givre de la nuit et semblaient n’être que des spectres dans cette lumière éclatante du matin comme naissant. Un peu plus loin, à un endroit où les arbres étaient moins proches les uns des autres, il y avait le ruisseau. Lui aussi subissait la morsure du froid, il avait gelé. On pouvait voir au dessous l’eau glacée couler encore, sous la couche de glace qui lançait milles reflets brillants comme milles morceaux de miroir brisé. Anahia pensa à ce vieux conte qu’elle avait entendu en Europe et qui parlait des morceaux de miroir glacé qui s’enfonçaient dans les yeux et le cœur des gens et les rendaient plus froid qu’une congère. Peut être serait-elle comme ça aussi à présent.

Il y avait quand même quelques éléments de couleur dans cet empire du blanc. Le ciel dans un premier temps, d’un bleu froid, pur, sans la moindre présence de quelques nuages pour cacher le soleil trop heureux de pouvoir faire briller son monde. Il y avait aussi des maisons, cachées sous les arbres spectres : La plupart étaient en bois sombre, des chalets comme on pouvait avoir coutume d’en trouver dans ces régions, certaines étaient en dur, en pierres, même si leurs formes restaient semblables. Il y avait aussi un peu plus loin, Anahia le voyait à peine entre les branches, un grand Wigwam, recouvert, comme tout ici, d’une couche de neige.
De chaque cheminée sortaient d’épaisses fumées qui s’élevaient vers le ciel pour disparaitre dans son bleu intense. La jeune femme ne savait plus quelque heure il pouvait bien être, ça faisait longtemps qu’elle avait perdu toute notion du temps. Mais au vu de la hauteur du soleil dans le ciel, et des odeurs de cuisine qui commençaient à se rependre dans l’air, on devait peut être approcher de midi, ou bien était-on le soir, elle ne savait plus trop.
Sur le côté de la maison voisine, il y avait un grand étendoir en bois de bouleau sur lequel on faisait sécher les poissons. Mais des poissons il n’y en avait plus, ou tout du moins plus pour le moment. Juste à côté, il y avait un tas avec de vieux morceaux de bois vermoulus, un tiroir esseulé, deux paniers en osier tressés qui devaient être bons à jeter, une crosse de hockey à la peinture craquelée qui devait ne pas avoir été utilisée depuis longtemps.
Sur le chemin boueux qui passait entre les maisons, deux chiens couraient en se poursuivant, l’un portant dans la gueule un morceau de viande que son camarade semblait réclamer en aboyant avec force et conviction. Une voiture passa sous les arbres. Anahia ne la vit pas mais elle l’entendit, elle l’entendit aussi freiner dans un crissement de pneus, puis le moteur se coupa et une portière claqua dans un bruit sec. Un carillon tinta d’un son aigre et cristallin.
Une forme passa au dessus de sa tête, la cachant une demi-seconde des rayons du soleil. Levant le visage pour découvrir ce qui avait créé l’ombre au dessus d’elle, la jeune femme se rendit compte qu’il s’agissait d’un hibou qui devait surement apporter du courrier. Elle le vit atterrir en repliant contre lui ses ailes immenses sur le rebord d’une fenêtre, toquer avec son bec sur le verre de trois coups secs. Quelqu’un, mais elle ne pu savoir qui car la personne resta hors de sa vue, lui ouvrit et l’oiseau entra dans la maison.

Devant cette maison, elle remarqua soudain la présence de deux hommes qui parlaient. Ils étaient trop loin pour qu’elle puisse entendre quoi que ce soit mais elle les reconnu, malgré la distance et la lumière. L’un d’eux était son père, cet irlandais débarqué de l’autre côté de la mer, comme elle aujourd’hui. Il était grand, bien plus grand que le reste des habitants de la réserve. Ses cheveux, bruns et ondulés, attachés en catogan dans sa nuque, commençaient doucement à se tinter de gris, comme si la neige tombait peu à peu sur lui. Il portait aussi une épaisse barbe où des poils blancs apparaissaient aussi, lui donnant un air plus sévère qui allait avec son regard dur et pénétrant. Maintenant qu’elle le voyait, elle se rendait compte à quel point il était semblable à son père à lui, et à quelque point Khaaleb leur ressemblait aussi. C’était d’ailleurs avec lui que leur père parlait. Il avait beaucoup changé ce frère depuis qu’elle était partie. La maladie qui avait bien faillit l’emporter se voyait encore sur son corps maigre, sur son visage, sur ses cheveux qui n’avaient pas encore totalement repoussés et qu’il cachait sous un bonnet. Mais au moins était-il en vie, et chaque jour on le découvrait un peu plus fort, de plus en plus semblable à celui qu’il avait toujours été. C’était en rentrant auprès des siens que la jeune femme avait appris toutes les épreuves que son cadet avait du traverser. Elle s’en était voulu de ne pas avoir été là, privilégiant ses propres aventures à cette famille qu’elle avait si longtemps fuie. Mais la joie de savoir son frère vivant n’avait pas été suffisante pour supporter la tristesse de perdre sa sœur, si peu de temps à peine après son retour. Etudiante à Boston, la jeune femme aurait désormais son nom sur le mur en souvenir à tous ceux qui avait perdu la vie dans cet élan de zèle qui avait poussé un groupe de sorciers à recouvrir à une magie qu’ils ne connaissaient pas plus qu’ils la maitrisaient. Une folie. Une folie qui avait couté la vie à beaucoup trop de gens, la laissant elle, mais bien d’autres qu’elle, meurtri dans sa chair et silencieuse dans sa colère.

Le regard toujours tourné vers les deux hommes qui parlaient, Anahia les vit se séparer. Son père, les épaules courbées sous un poids invisible marcha sur le chemin boueux et sorti de son champ de vision. Khaaleb lui se tourna vers l’endroit où elle se trouvait et lui adressa un signe de la main. Peut être même lui souriait-il, mais ça elle n’en était pas certaine. Cela faisait un petit temps que plus personne ne souriait dans cette famille. Dans un CRAC sonore qui se répercuta entre les arbres, son frère disparu, la laissant cette fois toute seule sur sa chaise dans l’immensité blanche. Un petit nuage de vapeur sortait de sa bouche à chacune de ses respirations. Elle avait froid, et elle se sentait seule.

Pourtant, seule, elle ne l’était pas. Baissant la tête, elle posa son regard sur la petite chose qui se trouvait dans ses bras.  C’était un nouveau né, blottit tout contre elle, enveloppé dans de nombreuses couvertures épaisses et chaudes pour le protéger de froid. Le petit être dormait d’un sommeil serein, sans se rendre compte de tout ce que pouvait bien éprouver sa mère, de crainte et de doute. Levant la main, la sorcière passa son doigt sur sa petite joue ronde et rose, elle n’avait encore jamais rien touché d’aussi doux.
Les dernières semaines de sa grossesse n’avaient été qu’un long calvaire. Le stress du voyage et le voyage lui-même, l’angoisse de revenir auprès des siens qu’elle avait si longtemps abandonné, la peur d’être retrouvée par ceux qu’elle savait être à sa recherche, la détresse de la perte de sa cadette pendant cette attaque de Boston, tout ça n’avaient pas été des éléments propices au bon déroulement de ces derniers mois. La poche des eaux s’était fissurée, et elle avait du rester longuement alitée jusqu’attendre le terme de sa grossesse, jusqu’à ce qu’il n’y ait plus de danger pour le bébé. Elle avait refusé de se rendre à l’hôpital malgré l’avis général, elle voulait rester dans le seul endroit où elle se sentait à peu près en sécurité. Aussi étrange que ça pouvait paraitre, la jeune femme était persuadée que temps qu’elle resterait cachée dans la réserve, personne ne pourrait jamais la retrouver. Les frontières de cette terre qui l’avait vu naitre étaient pour elle et tous ceux de son sang une protection magique contre les autres, ceux de l’extérieur. Anahia l’ignorait alors, mais cette protection existait belle et bien. Elle était l’œuvre de sa grand-mère, l’ancienne du clan, qui avait depuis longtemps fait de ce lieu une terre sanctuaire. Ce fut cette même aïeule qui la soutint dans sa volonté de rester dans la réserve au lieu de se rendre dans un centre médicalisé, ce fut elle aussi qui l’accompagna dans ces longues semaines d’immobilité et d’attente à regarder le plafond et le temps passer.


La gorge de la jeune femme se noua. Elle sentit une crampe torde son ventre encore meurtri.
Les premières contractions s’étaient faites sentir dans un matin brumeux, alors qu’une neige fine tombait sans un bruit sur la forêt sombre de l’aube sans soleil. On l’avait conduite dans le Inipi, la hutte de sudation qui l’attendait. Espérant se placer elle et son fil sous leur protection, la jeune amérindienne avait voulu accoucher comme ses ancêtres, sans médecins ni monitoring, sans anesthésie ni plastique bleu stérile. Bien sur, dès les premières crampes qui avaient saisit ses entrailles, elle avait juré contre elle et ces maudites coutumes à la con. La chaleur de la hutte, l’épuisement moral et physique, la douleur, plus forte qu’aucune autre avaent très vite eu raison de ses plus profondes convictions. Anahia s’était maudite elle-même, maudite dans toutes les langues qu’elle connaissait et qu’elle avait apprises. Elle avait attendu, allongée par terre sur des couvertures, ne buvant qu’un peu d’eau pendant plus de vingt quatre heures, se tordant de souffrance, criant, implorant pour qu’on arrête tout. Elle s’était agrippée au bras de sa mère, lui enfonçant les ongles dans la peau, pleurant comme une enfant. Elle avait si mal que c’était comme si on lui plantait des couteaux dans le ventre, l’ouvrant, la découpant, l’éviscérant de ces entrailles comme un animal chassé. Elle avait poussé, essayant d’expulser cette chose qui la tuait de l’intérieur sous les encouragements et les chants des femmes autour d’elle. Elle avait cru mourir. Peut être même était-elle morte en réalité.

Mais enfin, il y avait eu un nouveau cri dans la hutte sacrée, un cri strident, fort, une voix qu’elle entendait pour la première fois, et des rires et de la joie autour d’elle. Anahia ne comprenait plus rien alors, l’effort l’avait placée dans un état de demi-conscience, comme si elle était partie dans un autre monde avec une autre lumière, une autre nuit, loin, comme une mer déchainée. Alors elle sentit sur son ventre quelque chose qu’on posait, et alors elle revint et vit ce petit être couvert de son propre sang à elle. Il hurlait, il pleurait, alors elle l’entoura de ses bras, et très vite l’enfant se calma, comme s’il avait compris qu’il ne risquait plus rien. La jeune femme le regarda, elle regarda cette créature étrange qui venait de sortir qu’elle. L’enfant aussi la regarda, et lorsque leurs yeux se croisèrent, elle se rendit compte que les siens étaient bleus, aussi bleus que les siens à elle étaient noir. Et elle l’aima, comme aucun autre être sur terre.

Dans ses bras, l’enfant s’agita, ses petits sourcils se froncèrent. Remontant les couvertures, elle cacha son petit visage des rayons du soleil d’hiver et le serra un peu plus contre elle, déposant un baiser sur son front. Doucement, elle le berça, et de ses lèvres sortirent de vieilles paroles dans de vieilles langues oubliées. L’enfant se rendormit, serein, et sur sa joue à elle, une seule larme apparut, figée bien vite par le froid mordant.



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Armand R Altaïr
Armand R Altaïr

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MessageSujet: Re: Voir Venise...et mourir - ft Armand   Voir Venise...et mourir - ft Armand Empty04.08.18 22:25


   

Voir Venise et mourir




L'été à Rome était brûlant, et toute âme raisonnable longeait les pierres antiques à la recherche de l'ombre rare. C'est exactement ce que faisait Armand, à pas mesurés il quittait son étude pour se diriger vers la partie privative du palais épiscopale. Son oncle marchait à ses côtés, l'accompagnant dans un silence crispé.

Depuis l'incident à Venise, il ne le lâchait plus d'une semelle. Sa première action avait été de faire déménager ses affaires dans son grand appartement, et même si cela lui était désagréable, vive avec lui. Diodoro et Marcello avaient une certaine part de culpabilité dans cette affaire, et même si le cardinal leur avait pardonné, il continuait à se méfier de leur influence. Plus de sorties dans Rome, plus d'amusements de quelconque nature. Il veillait à ce que son élève passe l'intégralité de sa journée reclus dans son bureau, abattant une masse impressionnante de travail sous son œil attentif. Physiquement il ne l'enfermait pas non plus, mais au vu du regard lourd qu'il posait sur lui c'était tout comme. Son disciple avait perdu sa confiance, et il avait intérêt à se montrer exemplaire s'il voulait la retrouver un jour. Armand avait parfaitement comprit cela, et il obéissait sagement avec un dévotion mêlée de culpabilité.

Et pourtant il y avait bien plus que de la soumission dans son regard fuyant, il portait dans son cœur une peine étouffante qui le rendait fragile et faible. L'envie de vivre n'était pas revenue depuis les événements de Venise, et son âme d'ordinaire si joyeuse semblait avoir quittée son corps. Il y avait eut les crises de panique, les larmes, la peur de tout perdre qui lui avaient remués les tripes un moment, mais mis à part cette souffrance sourde, rien d'autre n'attestait qu'il était encore en vie. Il se soumettait à la volonté de son oncle avec une dévotion trop évidente, signe clair d'abandon. Il ne bavardait plus nonchalamment, il ne s'émerveillait plus de tout comme il avait l'habitude de le faire, et même il avait l'impression d'être devenu incapable de réfléchir. Il agissait de façon automatique, sans cette fantaisie et ce génie qui lui allait si bien. Et même s'il avait cessé de pleurer, il restait prisonnier d'une profonde dépression.

Depuis qu'elle avait disparue c'était comme si le monde s'était effondré. Il n'y avait plus rien qui vaille la peine d'être vécu, seulement un misérable quotidien dénué de poésie. Le souvenir même du bonheur lui avait été retiré, car maintenant il ne pouvait plus chérir la moindre de ses images. Si elle avait été morte, les choses auraient été meilleurs. Bien sur il aurait été affreusement affligé, mais au moins sa peine n'aurait pas été souillé par le goût amère de la trahison. Tout ces moments de tendresse qu'ils avaient partagés étaient maintenant corrompu par une idée insidieuse qui pourrissait tout ce qu'elle touchait : mensonge. Elle lui avait menti, elle s'était servit de lui et lorsqu'elle eut terminé, elle l'avait abandonné à un sort peu enviable. C'était lui qui allait payer pour tout ça, car au fond c'était lui qui avait trahit des personnes à qui on ne pouvait pas se permettre de tourner le dos deux fois. Armand avait eut une chance infinie que son oncle le soutienne, lui aussi aurait pu l'abandonner. Au contraire il lui avait habilement sauvé la peau, et pour cela il demandait maintenant un comportement exemplaire. Mais ce que Votelli ne parvenait pas à comprendre, c'était que son disciple aussi silencieux et aimable qu'il soit, n'était plus que l'ombre de lui même.

Ses amis avaient également pris de la distance, le traitant avec un certaine condescendance. L'histoire avait fait le tour de Rome, et si chacun s'en était fait son idée, il devait désormais faire son chemin dans la honte. Après tout c'était ce qu'avait conclu le procès, sa faiblesse de caractère avait permis à une sorcière de le manipuler et de lui soutirer des informations. Et plus humiliant encore Votelli avait insisté sur une faiblesse de nature. Comme s'il n'était pas complètement masculin et solide, comme si son caractère délicat et gentil était une faiblesse dans sa virilité. C'était ces mots qui avaient réussi à l'innocenter, mais clairement Armand aurait préféré qu'on le tue plutôt que de se voir traîner dans la boue de cette façon. Il vivait très mal ce jugement tout à fait déplacé sur sa personne. Certes il n'était pas comme tout le monde, et certes il avait une certaine sensibilité qui lui avait souvent valu des moqueries. Les gens faisaient ce rapprochement absurde entre sa sexualité et la douceur de son caractère, allant même parfois jusqu'à qualifier ça de faiblesse. Et même si Armand était reconnaissant envers son oncle de lui avoir sauvé la vie, il était épouvanté par ce qu'il avait du dire pour cela. Le pire dans tout ça c'est qu'il ignorait s'il le pensait vraiment. Diodoro affirmait qu'il ne s'agissait que d'un habile argument pour attester de son innocence, mais Armand en doutait. Et au vue de son état constant de tristesse, il était incapable de lui demander des explications. Il n'était plus celui qui allait à la confrontation, qui jouait avec les mots et cherchait la vérité. Cette personne là était morte, noyée dans les eaux du Grand Canal.

Se frayant un chemin à travers les rues, ils finirent par franchir les grilles du jardin et soupirèrent, appréciant avec soulagement la fraîcheur bienfaitrice qui y régnait. Le ciel était d'un bleu presque aveuglant, mais sous le couvert des arbres la chaleur était supportable. Le cardinal escorta son disciple sous les tonnelles de roses, songeur. D'ordinaire Armand appréciait beaucoup cet endroit, et s'il y en avait un qui avait toujours à dire sur la beauté irréelle de ci ou ça, c'était bien lui. Mais là il ne disait rien, et son visage grave était bruni par l'ombre de son chapeau. On était certainement dans l'endroit qui se rapprochait le plus du Paradis, et lui n'arrivait pas à quitter sa moue désabusée. Incapable de voir un signe évident de dépression, Votelli le sermonna pour ce qu'il pensait être un manque de manière.


« Essaye de paraître un peu moins désagréable tu veux. »

Passant sa main sur l'épaule de son neveux, il lui adressa une petite tape pour chasser la poussière de la rue de sa soutane noire. Il soupira et détourna le regard. Ce gamin était une véritable épine dans le pied. Armand quand à lui serrait les dents, incapable de la moindre insolence.

Il finirent par arriver au détour d'un chemin près d'un fontaine. L'air était frais à cet endroit là, et c'était le lieu que le pape privilégiait lors des fortes chaleurs. Il y avait quelque chose de serein et de pur dans cette vision. Quelque chose qui affirmait sans utiliser de mots que l'on se trouvait bien dans un morceau du paradis. Votelli se plaça devant sa Sainteté qu'il salua avec beaucoup de déférence. Le vieille homme quand à lui était familier de manières plus simples, et il adressa un bonjour aimable aux deux hommes.


« Sa sainteté nous à fait appeler ? » Demanda Guido.

Le pape esquissa un sourire et le regarda de cette façon perçante qui lui était propre. Il aurait été complètement idiot de croire que son âge avait rendu son esprit fragile. Quand à son sens de la répartie, il donnait toujours un bon aperçu de la personnalité affûtée qu'il avait pu être à vingt ans.


« Nous avons demandé à nous entretenir avec notre jeune Cancelliere en effet... Guido mon fils, pourquoi ne vas tu donc pas profiter de nos jardins un peu plus loin pendant que nous discutons ? Ou tu peux aussi rentrer et continuer à t'occuper de tes vieux papiers qui n'attendent que toi. »

Piqué à vif, le cardinal ferma le yeux une seconde et reprit lentement son souffle. D'ordinaire il ne se serait pas laissé faire aussi facilement, mais devant son disciple il n'osait rien répliquer. Il regarda  Armand comme s'il était coupable du burn qu'il venait de se prendre, et heureusement pour lui il ne moucheta pas, regardant fixement le sol sans oser sourire. Quand au pape, il le regarda débarrasser la vue avec un plaisir évident. Puis lorsqu'il jugea qu'il était suffisamment loin, il reporta son attention sur le jeune homme.


« Assis toi près de nous. »

Il obéit en silence, visiblement nerveux. Il avait l'impression qu'ils ne s'étaient pas côtoyés depuis une éternité. Bien sur il était toujours un peu tendu lorsqu'il était en compagnie d'une personne aussi importante, mais il avait vite comprit que ce n'était pas quelqu'un d'inaccessible et qu'il était très facile de discuter simplement. Pourtant cette fois il était horriblement mal à l'aise. Il n'avait aucun doute à avoir sur le fait qu'il savait ce qu'on disait de lui. Tout Rome savait. Et lui qui avait une place de premier plan dans leur Ordre, savait tout du péril dans lequel il les avait mis.


« Est que tu veux bien nous parler de la dernière chose que tu as lu ? »

Armand baissa les yeux.


« Je... je ne lis pas beaucoup en ce moment. J'ai beaucoup de travail et je n'ai pas la tête à ça... »


Le pape esquissa un sourire triste.


« C'est vrai que c'est important de travailler, mais tu devrais continuer de lire également. Ainsi tu pourras nous en faire le récit la prochaine fois que nous nous verrons. »

Il marqua une pause, choisissant ses mots.


« Ton oncle m'a dit que tu t'étais rendu dans l'Ossuaire... Ne dis pas un mot là dessus s'il te plaît, nous sommes probablement la prochaine âme qui s'y rendra et nous ne sommes pas du tout pressé de savoir à quoi cela ressemble. » Armand sembla scandalisé par cette perspective, et son visage prit une expression d'angoisse sincère. « Mais tu sais, cela nous rassure de savoir que tu veilleras sur nous. »

Inspirant faiblement, Armand hésita à poser les milles questions qui s'entrechoquaient dans sa tête. Est ce que sa Sainteté était malade ? Qu'est ce qui lui faisait avoir des pensées aussi sinistres ? C'était horrible. Il n'arrivait pas à imaginer que le monde puisse un jour être privé de cette personne.


« Enfin ce n'est pas pour tout de suite, mais nous sommes content de savoir que tu as prit conscience de l'importance de ta mission. » Il sembla attiré par quelque chose au sommet d'un arbre qu'il fixa, avant de reprendre. « Nous avons également une autre tâche que nous voulons te confier. Ne t'en fait pas, nous en avertirons ton oncle, mais il est nécessaire que tu partes en voyage pour nos affaires. » Armand releva aussitôt les yeux, adressant un regard interrogatif au vieille homme, le priant silencieusement de lui en dire plus. « Ne penses surtout pas qu'il s'agit d'une punition, ou d'une décision prise à la légère. Nous avons beaucoup réfléchi et beaucoup prié avant d'en arriver à cette conclusion. Tu dois partir aux États Unis le plus rapidement possible, certaines tâchent t'attendent là bas et nous comptons sur toi. »

Un peu secoué par cet demande, le jeune prêtre osa prendre la parole.


« … Je ne peux pas, je dois assister mon oncle. »


« Tu n'as pas le choix, Guido restera ici avec nous et toi tu voyagera seul. Enfin, on dit que tu n'as pas le droit de quitter Rome depuis que tu as été innocenté par le tribunal, mais nous avons trouvé un arrangement. Un Djed t'accompagnera, il s'agit de notre neveu et d'une personne en qui nous plaçons toute notre confiance. Guido va sûrement pester comme un fou, mais son avis n'a aucune importance face aux forces qui sont en jeu. »

Un frisson traversa la peau du jeune homme. Les Djeds représentaient sans doute l'un des secrets les mieux gardés du tribunal, le genre de ceux qu'il ne voulait surtout pas connaître. Savoir que le pape avait un quelconque lien du sang avec une de ces créatures était déjà une information trop difficile à digérer. A moins que cela ne soit qu'une façon de parler ? Sans doute, le langage hermétique était plein de poésie.


« Et... Et en quoi consiste cette mission que me propose sa Sainteté ? »


« Traverse la mer, pose le pied sur le Nouveau monde, et attend un signe. Et ce n'est pas une proposition. »

Un léger sanglot se brisa dans la gorge d'Armand, il était bouffit de honte. Ce qui n'échappa pas au très perspicace pontife. Il posa sa main sur son genoux, d'une façon très paternelle.


« Mais ce n'est pas non plus une punition. »

« Si... si seulement  je m'étais montré un peu moins stupide... »


« Tu ne peux pas continuer à t'en vouloir éternellement, de même que nous ne t'en voulons plus. Tu nous est précieux comme un fils. Hum... si Guido nous entendait, il trouverait que sa Sainteté est devenue sénile, mais sache que si tu avais eux quarante ans de plus nous t'aurions aussitôt trouvé une place dans notre secrétariat. »

« Et j'en aurai été infiniment honoré... mais je ne peux même plus jurer de mon dévouement maintenant que j'ai commis des fautes graves et que l'on me condamne à l'exile. »


Une légère brise secoua le feuillage vert, plongeant le pape dans une profonde introspection.


« Peut être que c'est un exil en effet. Mais serait il trop te demander de nous faire un peu confiance ? Dieu à des plans pour toi depuis le jour de ta naissance Altaïr, nous le savons car il nous les a soufflés à l'oreille. C'est la meilleur solution, nous en sommes désormais convaincu. »

« Bien . » Il soupira, un peu honteux d'avoir douté. « Y a t il autre chose que je dois savoir ? »

« Y a t il autre chose dont tu aimerais nous parler ? »

Le regard vif du pape l'obligea à détourner les yeux. Bien sur, il y avait tellement de chose dont il aurait voulu parler. Il y avait ce voile de souffrance sur son cœur, le sentiment d'abandon, et ce doute terrible. Pour la première fois il avait été pleinement heureux. Il s'était même surpris à chérir des rêves qui ne lui ressemblaient pas, et à désirer fonder une famille plus que tout. Mais malheureusement ce bonheur de couple s'accordait mal avec sa vocation, et ainsi il avait abandonné tout ce en quoi il croyait.
Guido ignorait tout les détails de son plan, et s'il les avait connu il l'aurait sûrement tué de rage sans l'ombre d'une hésitation. Il avait gardé sous silence la profondeur de son amour, et ce serment éternel qu'il avait fait. Un serment désormais honteux, que seul une personne au monde avait le pouvoir de rompre. S'il avait été plus courageux il aurait dit les mots qui soulageraient sa conscience. Et pendant de longues années il regretta de ne pas avoir osé.


« Non... rien d'autre. »


« Alors bon voyage fils. »
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